Il est judicieux de se demander, en ces jours de réflexion après la guerre féroce engagée par les médias espagnols contre le royaume, pourquoi les Marocains se distinguent-ils pour une débordante passion pour le Barça ou pour le Real Madrid qui va souvent au-delà de leur affection pour les clubs nationaux. Leurs raisons se limitent probablement et uniquement à l'admiration pour la qualité des footballeurs des deux clubs espagnols. En Espagne, par contre, le derby ou « classico » a une signification qui invite à une lecture au pluriel puisqu'il entre en jeu des considérations qui débordent de loin le stade sportif. Lundi, 29 novembre, le Real Madrid, leader, et le FC Barcelone, 2ème au classement général de la Première Ligue Espagnole de Football, se verront au Nou Camp dans leur premier face-à-face de la saison. Encore une fois, les deux clubs arrivent au derby classique avec un seul point d'avance des « Meringues » sur les « culés » mais avec un pronostic difficile à émettre. Dans l'attente du coup de sifflet annonçant le début du match, supporters des deux clubs, médias y compris supporters dans d'autres pays tel le Maroc, chacun y va dans son pronostic. Les « quinielas », le toto-foot espagnol, vont bon train et les guichets virtuels des paris sportifs y trouvent une opportunité inégale pour conquérir le marché espagnol. Depuis le lancement de la liga, en 1929, le derby Barça-Real Madrid connaît une rivalité sans précédent qui va au-delà du simple spectacle sportif. Il s'agit d'un phénomène social qui intéresse sociologues, économistes et experts de marketing et où se croisent intérêts politiques, investissements économiques démesurés et passion patriotique. C'est aussi un indice de mesure des clivages au sein de la société espagnole pour déceler les tendances des fervents défenseurs d'un Etat centralisé national et uni, et celles des animateurs des courants indépendantistes qui revendiquent davantage de compétences pour les gouvernements régionaux. En fin de compte, c'est un duel entre Madrid et Barcelone, les deux grandes métropoles de l'Espagne qui se distinguent du pool des régions aux plans démographique, de l'activité industrielle et par leur contribution aux recettes de la Trésorerie Générale de l'Etat en termes d'impôts directs et indirects. Les deux régions se disputent les premières places du ranking sur tous les plans aussi bien au niveau national qu'international. Les comparaisons peuvent s'enchaîner pour aboutir finalement à une suprématie absolue des deux villes qui campent aux deux premières places dans une infinité de secteurs. Beaucoup de facteurs entrent en jeu, mais le plus important est l'implication de l'économique et la gestion collégiale des deux clubs, érigés en entité sans but lucratif. Au plan de la qualité de vie, ce n'est pas par accident que les deux régions disposent des Produits Intérieurs Bruts (PIB) régionaux qui dépassent de loin ceux de plusieurs Etats dans le Monde. Le PIB de la Communauté Autonome de Catalogne de 2008, selon les données officielles de la Comptabilité Régionale de l'Etat, était égal à 202, 805 milliards d'euros (18,6% du total), face aux 193,477 milliards d'euros pour Madrid (18%). Par contre, les PIB de Sebta (1,611 milliards d'euros) et de Melilla (1,494 milliards d'euros) représentaient respectivement 0,2% et 0,1% du total des PIB régionaux. La même situation est constatée au niveau du PIB per capita où les habitants de Catalogne (28.095 ?) et de Madrid (31.110 ?) sont apparemment parmi les plus riches de leur nation (en compagnie de ceux du Pays Basque et de Navarre). Cet indicateur permet de relever que l'habitant de Madrid ou de Barcelone dispose de moyens matériels qui lui permettent d'occuper une partie de son temps libre par le financement de loisirs, dont le suivi en direct d'un match de football, s'affilier au club ou acquérir une place à la tribune d'honneur au stade Santiago Bernabeu ou Nou Camp. Au plan de l'activité économique, 18,5% des 3.355.830l entreprises figurant au 1 er janvier 2009 au Directoire Central des Emprises (DIRCE) d'Espagne ont été recensées dans la communauté autonome de Catalogne et 15,3% à Madrid. A elles seules, les deux communautés autonomes concentrent le tiers de l'activité économique du pays. C'est un indice qui permet de mesurer la capacité des entreprises de financer des campagnes publicitaires de l'un des deux clubs, acheter des espaces ou agir à travers des contrats de merchandising. Les plus importantes entreprises se disputent également la publicité au maillot ou chaussures des joueurs des deux clubs. S'agissant de l'image de marque et du marketing médiatique, de nombreuses entreprises de presse ont bâti leur projet économique sur la promotion de l'un des deux clubs. A Madrid, deux grands quotidiens sportifs, Marca et As assurent à travers le journal papier ou leur page Web la diffusion de toutes les informations et détails relatifs au Real Madrid et à ses joueurs. Les deux journaux comptent 3.549.000 lecteurs quotidiennement pour des ventes totales de 538.346 exemplaires, indique l'Association pour l'Investigation des Moyens de Communication. A Barcelone, deux autres quotidiens, Sport et El Mundo Deportivo, assument une mission identique au service du FC Barcelone. Ils sont lus chaque jour par 1.201.000 personnes et vendent 217.687 exemplaires, retient-on de la même source. Les deux clubs sont gérés en tant qu'entreprise économique dont l'objectif est de conclure l'exercice financier avec un solde positif. Le dépassement des dépenses inscrites, la fraude à la comptabilité ou la déviation des ressources du club à des fins personnelles sont sévèrement sanctionnés aussi bien par le recours à la justice que par les votes des associés. Le président du Comité Exécutif du Real Madrid ou du FC Barcelone est, à ce titre, considéré comme le dépositaire de la confiance des milliers d'adhérents et de supporters. Le président du club est chargé de veiller à la bonne gestion administrative, à la création de nouvelles ressources et à gagner le maximum de titres en lice. A la fin de chaque saison, il présente le bilan en chiffres et en titres gagnés. S'appuyant sur de larges facilités financières et un impressionnant fonds patrimonial, le Président du club engage personnellement la chasse au meilleur buteur, au meilleur milieu de terrain et au meilleur défenseur. C'est la raison pour laquelle, le Real Madrid se permet de changer de fond en comble la liste de ses joueurs au début de la saison 2009-2010 en consacrant 252 millions d'euros à l'achat des joueurs les plus talentueux du monde. Les budgets des deux clubs à titre de 2010/2011 sont astronomiques et se situent à 450 millions d'euros pour le club de la capitale espagnole et 405 millions d'euros pour son rival catalan. Cet ensemble de données offre une idée sur la dimension de la gestion, des moyens matériels et du support promotionnel qui ont contribué à faire du derby un grand spectacle mondial. Sur le terrain, chacun des deux clubs a sa propre philosophie du jeu. Le FC Barcelone a l'avantage d'aligner des joueurs formés dans sa propre pépinière, y compris leur entraîneur Josep Guardiola, qui ont été éduqués dès leur adolescence avec les mêmes valeurs du club, tels le catalanisme, le jeu en équipe et la solidarité. Il a l'avantage de conserver le même style de jeu hérité de l'époque de Johan Cruyff qui a introduit le système 3-4-3. Il s'agit de la fameuse tactique basée sur l'attaque et le contrôle de la balle au milieu de terrain avec des changements de position des ailiers et avant-centre. Tous les joueurs qui participent au jeu tentent de désorienter la défense rivale pour créer des couloirs libres pour les buteurs dans la surface de réparation. Les passes courtes et rapides sont une tactique que les joueurs appliquent à la perfection grâce aux longues années ensemble au club. La philosophie du Real Madrid s'inspire des manuels économiques. Pour la direction du club le plus important est de gagner le plus grand nombre possible de titres pour satisfaire les clients, dans ce cas les supporters. Pour réaliser un tel objectif, le recours au marché international est indispensable afin de pourvoir le club des meilleurs joueurs et entraîneurs sans lésiner sur les moyens. En cas d'échec, le staff technique est viré ipso facto. Depuis plus d'une décennie, le Real Madrid est dépourvu d'un style de jeu défini à cause précisément du changement permanent d'entraîneurs (neuf en six ans) et l'engagement de joueurs aux profils disparates. L'actuel coach, le portugais José Mourinho, préfère préparer l'attaque au milieu du terrain sans la participation décisive des défenseurs. C'est un technicien qui parie sur la force physique et la rapidité de la ligne d'attaque avec quatre milieux de terrain et deux avant-centre. Les attaquants participent peu à la construction du jeu mais sont plus combatifs et capables de déstabiliser la défense adverse à partir des incursions sur les ailes. L'objectif est de faire vibrer les filets du rival aux premières vingt minutes du match pour pouvoir s'organiser en défense et lancer des contre-attaques. Cette tactique apporte ses fruits et justifie les scores sans appel. Cristiano Ronaldo est l'actuel meilleur buteur de la liga avec 15 buts en douze matchs. Le derby du 29 novembre, sera en fin de compte, un duel de deux philosophies, deux styles de jeu et deux manières de faire un football total. Les deux équipes ont l'avantage d'affronter le duel avec leurs formations au complet et deux acteurs magiques, Léo Messi et Cristiano Ronaldo. Les deux clubs arrivent au rendez-vous avec des pronostics difficiles de deviner pour la liga. Pour les amateurs du bon football, au Maroc et au reste du monde, ce derby local ne peut-être qu'un simple spectacle éphémère qui est fortement médiatisé, puisque avec ce match, ne vont se résoudre tous les problèmes de l'humanité.