L'écrivain et intellectuel marocain, Edmond Amran El Maleh est mort le lundi à l'âge de 93 ans à l'hôpital militaire de Rabat. “Lettres à moi-même”, est son dernier ouvrage publié chez les Editions Le fennec. Le livre a été présenté au dernier salon du livre de Casablanca devant des intellectuels marocains tenus à être présents pour rendre hommage à cette figure emblématique de la scène culturelle marocaine. Edmond Amran El Maleh, sur une chaise roulante, avait l'air épuisé. L'âge est impitoyable. Son regard limpide dégage une expression de grande lassitude et aussi une douceur infinie. Il hésite à parler. Il estime avoir tout dit dans son livre ou au moins ce qu'il a pu dire. Il parle peu. Il choisit ses propos avec beaucoup de délicatesse. Amran El Maleh n'aime pas se dévoiler. C'est du moins le constat que l'on peut faire de lui. Son dernier livre «Lettes à moi-même» traduit d'ailleurs cette angoisse, ce va et vient entre l'écrivain et son être. «Lettres à moi-même » est-il une autobiographie?, s'interroge-t-on. Le débat a été soulevé lors de cette rencontre. Le livre peut l'être puisqu'il révèle une chronologie d'évènements qu'il a personnellement vécu et qu'il est en soi le fil conducteur de cet ouvrage. L'éditeur a préféré le nommer « journal » comme c'est indiqué sur la couverture. Amran El Maleh fait vite de clore ce débat. Lui, il rejette toute qualification. Ce qui l'importe, c'est la portée du livre en soi au delà à de toute catégorisation stérile et sans importance. Il se contente de répliquer : «Il est centré sur mon expérience et donc, va-t-il intéresser quelqu'un ?… Ce qui peut le sauver c'est peut être la qualité littéraire». En tout cas, ce qui est sûr : c'est que cet ouvrage constitue une amorce d'une nouvelle relecture de l'œuvre d'El Maleh. «Lettres à moi-même» est plutôt un jeu de miroir. Un échange entre le «je» et le «moi» que l'écrivain a choisit pour évoquer son parcours. Le critique littéraire Abdallah Baida parle de «voilement et dévoilement» : «Un jeu de voilement-dévoilement qui conduit à l'esquisse du portrait d'un personnage qui ne serait finalement ni l'un ni l'autre ou bien qui serait peut-être l'un et l'autre». L'on a l'impression en parcourant les lettres que l'écrivain fuit la nudité. A l'instant où il se sent trop dévoilé, il se remet dans sa carapace pour se protéger et couvrir ce qui lui reste de son intimité. Edmond Amran El Maleh reste plus méfiant en évoquant son passé politique. Le militant ne se livre que partiellement et à petits bribes dans son livre. Il est plus à l'aise dans l'écriture. : «L'écriture est une manière d'être, une façon de continuer. C'est une bouée de sauvetage aujourd'hui que j'ai des trous de mémoire», a –t-il dit. Son rapport avec la langue française, Amran el Maleh dit avoir une seule certitude, celle d'être un écrivain marocain. Somme toute, ce livre, le dernier du vivant de Amran El Maleh, est la meilleure introduction à l'analyse de l'ensemble de son oeuvre. «Je lis, j'écris donc j'existe!» Le grand écrivain et intellectuel marocain, Edmond Amran El Maleh, est décédé lundi 15 novembre à Rabat. L'auteur du livre « Lettres à moi-même », n'est pas mort. «Je lis, j'écris donc, j'existe «, lance-t-il, avant de poursuivre: «Je prends toujours part activement à la vie quotidienne. Je refuse de me recroqueviller en attendant le destin!». Edmond Amran El Maleh est né en 1917 à Safi (Maroc), au sein d'une famille juive originaire d'Essaouira. Responsable du Parti Communiste Marocain (alors clandestin), il milite pour l'indépendance nationale du Maroc. Puis, cessant toute activité politique, il quitte le Maroc en 1965. Il devient, ensuite, professeur de philosophie et journaliste à Paris. À partir de 1980, à 63 ans, il se met à écrire une série de romans et un recueil de nouvelles. Ses écrits sont tous imprégnés d'une mémoire juive et arabe qui célèbre la symbiose culturelle d'un Maroc arabe, berbère et juif. Il a reçu, en 1996, le Grand Prix du Maroc pour l'ensemble de son œuvre. Nous reproduisons ci-après un extrait de l'entretien accordé à l'Agence MAP, le dernier réalisé avec ce grand homme de lettres. Dans son appartement rbati, aux allures de galerie d'art et de bibliothèque, Edmond Amran El Maleh reçoit ses invités avec hospitalité. Souriant et chaleureux, l'homme se prête volontiers au jeu des questions-réponses. Derrière ses lunettes grises et sa moustache blanche, un regard vif et un sourire sincère, le propre d'un homme encore dans la force de l'âge. «Je lis, j'écris donc, j'existe «, lance-t-il, avant de poursuivre: «Je prends toujours part activement à la vie quotidienne. Je refuse de me recroqueviller en attendant le destin!». Voilà ce qui rassure sur la santé de l'un des monuments de la scène littéraire nationale ! « Le corps et l'esprit ». Du haut de ses 93 ans, ce natif de Safi ne rechigne pas à parler de cette longue existence qui est une sorte de «parcours immobile», avec un brin de douceur et de nostalgie pour les trente printemps passés dans la capitale des Lumières. «Paris a donné de la matière à mes œuvres. J'y ai passé une trentaine d'années durant lesquelles le Maroc était toujours resté en moi», raconte-t-il, avec émotion. Pour lui, la personnalité se construit à partir de l'environnement, du patrimoine et de l'histoire, entre autres composantes. Ses racines sont au Maroc et il entretient une relation fusionnelle avec son pays, au point d'affirmer: «Quand je quitte le Maroc, je me déplace sans me déplacer». Une affirmation philosophique qui en dit long sur la relation entre l'homme et la terre natale. «Ce n'est pas une qualité propre à moi tout seul «, ajoute-t-il, non sans modestie. Ceci étant, il faut se rappeler qu'avant d'être l'écrivain que l'on connaît aujourd'hui, E.A El Maleh avait débuté dans l'enseignement. Ce n'est que lors de son séjour dans l'Hexagone qu'il décide de claquer la porte des salles de classe. «Je ne voulais plus rester dans l'enseignement. Ce n'était pas comme au Maroc. Dans mon pays, j'étais professeur au lycée Mohammed V (à Casablanca, ndlr) là où ce métier avait un autre goût». «C'était à l'aube de l'indépendance. A l'époque, nous pensions à l'avenir du Maroc et être enseignant voulait dire participer à la formation des nouveaux cadres du Maroc indépendant en France, il n'y avait pas lieu de faire la comparaison». «La plume et le pinceau» A partir de cette période, E. A El Maleh s'est entièrement consacré à l'écriture et à l'exercice du journalisme. En même temps, il vouait une affection particulière à la peinture et à la photographie. Son domicile n'a rien à envier à une galerie d'exposition, mais avec une nuance: «Ces toiles ne sont pas un décor, c'est mon environnement là où je vis». Pas étonnant, car l'écrivain, poète et journaliste est aussi un fin critique d'art -bien qu'il n'aime pas trop l'appellation. Quand on lui parle de tableaux et de peinture, il s'extasie. «Ah ! Les arts plastiques c'est quelque chose de très important. Ils ont connu un véritable boom durant les dernières années, et de nombreux plasticiens marocains sont devenus des artistes de gros calibre», dit-il fièrement. «Je m'estime heureux d'avoir eu la chance d'assister à de très nombreux événements liés aux arts plastiques et d'avoir été témoin de l'évolution qu'ils ont connue», ajoute-t-il. En fait, Edmond Amran El Maleh, ne fait pas partie de ceux-là qui font dans l'hyperbole avec une tendance à dramatiser les choses. Pour lui, la culture ne va pas aussi mal qu'on le dit. Il refuse, par exemple, de parler d'une «crise» du livre et de la lecture, estimant que la création littéraire est toujours présente et que la manque d'intérêt constaté pour les livres est un «phénomène général, qui ne concerne pas que le Maroc, dû à l'apparition et à la généralisation de nouveaux moyens de communication». «Il n'y a pas de crise de lecture. L'écriture c'est la vie», dit-il comme pour résumer son propos. C'est ainsi qu'en parlant de culture, il était impossible de ne pas revenir sur un grand fait d'actualité, qui n'est autre que la triste nouvelle de la disparition du grand intellectuel Mohamed Arkoun. Une nouvelle qu'Edmond affirme avoir appris avec tristesse et affliction. «C'est une grande perte, c'était un intellectuel de haute stature qui mérite les hommages les plus appuyés». «Une pensée pour la Palestine» Les positions d'Edmond Amran El Maleh sont fermes et non équivoques. C'est ainsi que lorsqu'il est interrogé sur la question palestinienne il répond, sans hésiter, qu'il est du devoir de tous «d'agir avec abnégation et fermeté face aux actes barbares et racistes de l'entité sioniste à l'égard des Palestiniens». Il a également appelé à l'arrêt de la colonisation, fustigeant avec énergie «les idées sionistes à caractère raciste et qui sont aux antipodes des préceptes du judaïsme». Témoignages Bichr Bennani, éditeur: Un juif antisionniste Ce qu'il faudrait retenir en évoquant l'écrivain feu Edmond Amran El Maleh, c'est surtout qu'il était près de tout ce qui se passait autour de lui. C'est un véritable marocain connu, essentiellement, pour ses positions antisionistes. Il a pris position à plusieurs reprises contre L'Etat d' Israël. Je pense qu'au-delà de l'écrivain et de l'œuvre qu'il nous a léguée, Edmond Amran El Maleh, en tant que juif, s'est démarqué par ses idées et n'a cessé de dénoncer les crimes commis par Israël contre le peuple palestinien. Il est l'un des premiers à s'exprimer contre les massacres de Janine et Ghaza perpétrés sur les palestiniens. Il faut que l'Histoire retienne que ce juif avec Abraham Serfati et Sion Assidon sont des juifs qui honorent la religion juive qui ne préconise en aucun cas les massacres. Kamal Lahbib, militant des droits de l'Homme : une grosse perte Je déplore la mort de cet intellectuel juif marocain antisioniste. Son décès est sans doute une grosse perte pour la défense de cette convivialité qui existait entre les deux communautés musulmane et juive et pour la recherche de la symbiose entre les deux peuples. Simon Lévy : Amran El Maleh, n'a jamais renié ses convictions C'est un vieux militant du parti communiste. Il n'a jamais renié ses convictions de gauche. Les débuts de sa jeunesse, il a consacré sa vie à lutter pour l'indépendance de son pays. Puis il a adhéré au parti communiste marocain qui s'activait à l'époque dans la clandestinité, où il est devenu membre du Bureau politique. Il occupait également le poste de professeur au Lycée Mohammed V à Casablanca. En 1965, il quitte le Maroc et s'installe à Paris, en tant que professeur de philosophie et journaliste. Après son retour au Maroc, Edmond Amran El Maleh se consacre à l'écriture de ses romans. Il est l'une des grandes figures de la littérature marocaine. Ses écrits sont des chefs d'œuvres.