Pour Jawad Skalli, membre du Bureau exécutif du Forum vérité et justice, les archives aussi bien tenues soient-elles, ne servent la transition démocratique que lorsque l'accès à l'information est garanti pour les chercheurs et les média… Pour lui, Le CCDH, officiellement chargé d'assurer le suivi des recommandations, clame sur tous les toits que cette recommandation est dépassée. Al-Bayane : Le Conseil consultatif des droits de l'Homme lance officiellement, à Rabat, le Programme «Archives, Histoire et Mémoire « et qui s'inscrit dans le cadre de son accompagnement au processus de transition démocratique au Maroc à travers la mise en œuvre des recommandations de l'IER, que pensez-vous ? Jawad Skalli : Le programme en question nous rappelle selon l'adage populaire que « l'enfer est pavé de bonnes intentions ». Les conditions pour que ce programme s'inscrive réellement dans un processus de transition démocratique sont loin, très loin d'être réunies : Des archives aussi bien tenues soient-elles ne servent la transition démocratique que lorsque l'accès à l'information est garanti pour les chercheurs et les média. L'Histoire ne participe à la transition démocratique que lorsqu'elle est débarrassée de la langue de bois courtisane, la mémoire, lorsqu'elle est sélective, s'inscrit dans le processus de propagande et non dans celui de la transition démocratique. L'initiative est bonne, la nature de ses promoteurs et l'exclusion de fait de pans entiers de la société civile, la vident de l'essentiel de son contenu positif. Qu'en est-il des recommandations de l'IER ? Les recommandations de l'IER touchent un large éventail de questions qui peuvent se classer en trois grands ensembles : - Mesures destinées à compléter la vérité sur les graves violations de droits humains - Mesures de nature à panser chez les victimes les plaies morales et matérielles engendrées par ces graves violations - Mesures destinées à prévenir une répétition de telles violations Au sein du Forum vous avez toujours contesté la non-application des recommandations de l'IER, pourquoi une telle attitude ? Concernant la première série de mesures, vous pouvez constater que rien, strictement rien, n'est fait. L'impunité pour les auteurs et commanditaires est sacralisée et toute tentative de la remettre en cause est taxée de recherche de vengeance. Cette protection acharnée de l'impunité conduit à faire l'impasse sur de larges pans de la vérité. Le CCDH n'a pas les moyens de parvenir par lui-même à l'établissement de la vérité et à sa diffusion, il a par contre tous les moyens de dénoncer les entraves qui sont semées sur la voie de sa recherche et les auteurs de ces entraves ; le fait-il ? Ou alors choisissant la voie des courtisans prend-il soin d'éviter scrupuleusement tout ce qui est susceptible de froisser les puissants du pays ? Des dossiers de disparition forcée sont menacées à leur tour de disparition, quelques exemples emblématiques illustrent ce fait : Ben Barka, Hocine El Manouzi, Abdelhak Rouissi, en plus de dizaines d'autres dont les cas sont abondamment documentés par les familles, les codétenus, et des organisations comme la nôtre. Et la seconde série des mesures ? Concernant la seconde série de mesures, l'aspect moral est fondamental dans le processus pompeusement appelé « réconciliation » : l'IER recommande explicitement la présentation par l'Etat marocain d'excuses officielles aux victimes. Le CCDH, officiellement chargé d'assurer le suivi des recommandations, clame sur tous les toits que cette recommandation est dépassée. Son mandat est-il d'évaluer les recommandations de l'IER ou de les mettre en œuvre ? Mais tout ceci est bien secondaire par rapport au plus important : les recommandations visant la non répétition des graves violations, à savoir les réformes institutionnelles et constitutionnelles dont le pays a besoin pour se prémunir contre une telle répétition. Mais le CCDH a indiqué que la majorité des recommandations de l'IER ont été mises en œuvres ? Le CCDH s'est fait l'avocat de la non application de ces recommandations au lieu d'être le promoteur de leur application : ainsi l'abolition de la peine de mort pourtant objet d'une recommandation explicite est entourée d'une armée de bémols pour en empêcher l'adoption effective, la ratification du traité de Rome sur la Cour pénale internationale, elle aussi objet d'une recommandation explicite est décrétée menaçante pour la souveraineté nationale, la signature et la ratification des protocoles additionnels à la convention contre la torture sont entravées par les tentatives du CCDH d'empêcher la mise sur pied d'un mécanisme autonome de contrôle des lieux susceptibles d'être le théâtre de torture en se présentant comme «l'organisme autonome à qui cette mission revient de droit». Autonomie du CCDH ? Soyons sérieux !!