Le Projet de loi de finances présenté samedi dernier devant les deux chambres du parlement réunies, constitue un moment propice pour engager un débat démocratique sur les priorités du pays et passer au crible les politiques publiques sous-jacentes. C'est l'un des rares documents, si ce n'est le seul en l'absence d'un plan stratégique, qui permet de débattre de l'ensemble des problématiques, à condition, toutefois, que nos honorables députés et conseillers se montrent moins paresseux et plus percutants pour bousculer le gouvernement et le pousser dans ses derniers retranchements. Les parlementaires sont là en principe, y compris ceux de la majorité, pour faire le contrepoids à l'exécutif et défendre avant tout les intérêts des électeurs. Les béni oui-oui sont nuisibles pour la démocratie et leur rôle se réduirait à faire la figuration dans l'hémicycle. Bien sûr, il ne s'agit pas de faire l'opposition systématique au gouvernement mais de contribuer à l'enrichissement du document étudié et à la clarification d'un certain nombre de points qui paraissent confus et obscurs. Ce faisant, le parlement retrouverait l'ambiance d'antan et pourrait attirer de nouveau l'intérêt des citoyens pour la chose publique et redonner crédit et vitalité à nos instituions frappées d'inertie. C'est dans ce sens que s'inscrit la présente chronique qui vise modestement à soulever un certain nombre de questionnements après une première lecture du projet de loi de finances et de la note de présentation, en attendant d'examiner l'ensemble des documents qui accompagnent le projet. On notera de prime abord que ce PLF est marqué par la continuité par rapport aux précédents à telle enseigne qu'on y trouve les mêmes priorités et pratiquement les mêmes expressions. C'est normal dans la mesure où le gouvernement croit dur comme fer que son bilan à mi-mandat est une réussite sur tous les plans et par conséquent il serait illogique de changer ce qui marche, du point de vue du gouvernement et de sa majorité, sans prêter la moindre attention au point de vue de l'opposition et au mécontentement de larges pans de la population. Le Chef du Gouvernement a osé déclarer que son équipe a réalisé à mi-mandat tout ce qui est prévu pour la période quinquennale 2022-2026 ! La deuxième remarque porte sur la transparence budgétaire. Malgré les efforts déployés depuis l'entrée en vigueur de la Loi Organique des Finances en 2016, le budget manque de transparence. Ainsi, l'Organisation Internationale pour le Partenariat Budgétaire (international Budget Patrenrship) a publié, en date du 31 mai 2022, les résultats de l'Enquête sur le Budget Ouvert au titre de l'année 2021. Les résultats de cette Enquête, réalisée une fois tous les deux ans, indiquent que le Maroc a enregistré une amélioration en matière de transparence budgétaire, avec un score de 48 points, contre 43 points en 2019, 45 points en 2017 et 38 points en 2015. Le classement du Maroc a ainsi connu, en conséquence, un net raffermissement, passant du 62ème rang sur un total de 117 pays en 2019, au 55ème rang sur les 120 pays couverts par l'Enquête au titre de l'année 2021. Comparativement aux pays de la région MENA, le Royaume se positionne au 2ème rang, après la Jordanie. Classement satisfaisant mais il gagne à être amélioré pour rendre la lecture du budget facile, compréhensive et à la portée des lecteurs. Ainsi, contrairement aux promesses des différents gouvernements de réduire les Comptes Spéciaux du Trésor (CST) pour respecter l'un des principes budgétaires fondamentaux, à savoir l'unité, on assiste à un gonflement de ces Comptes à tel point qu'ils sont dotés pour l'année 2025 d'un montant de 162,5 MM DH, dépassant de loin les sommes allouées au budget d'investissement, soit 128,5 MMDH. La navette entre le budget et les CST est un véritable labyrinthe dont il est difficile de s'en sortir indemne intellectuellement. D'ailleurs, en procédant à la neutralisation des transferts entre le budget général, les CST et les SEGMA (services de l'Etat gérés de manière autonome), les rédacteurs de PLF parviennent à calculer le montant de l'investissement réalisé à ce niveau. Ensemble, ils réalisent à peine 120,5 MMDH, ce qui est très en deçà des montants nominaux inscrits dans le PLF. On aurait aimé que les rédacteurs du projet nous expliquent la manière dont ils ont procédé pour aboutir à ce résultat. Au nom de la transparence. La même remarque pour l'investissement réalisé par les collectivités territoriales : communes et régions. Alors que ces deux entités bénéficient d'un transfert de 60 MM DH (51 MM au titre du transfert de 32% de la TVA au profit des communes et 9 MM DH transférés au bénéfice des régions), seul un tiers de ce montant est consacré à l'investissement, soit 21,5 MM DH. Les deux tiers sont affectés au fonctionnement en contradiction totale avec la philosophie qui a prévalu au départ consistant à doter les collectivités territoriales des sources d'investissement. En matière sociale, on décèle une série de programmes sans qu'il y ait une convergence entre eux. Ne fallait-il pas présenter dans une matrice synthétique l'ensemble des programmes en cours portant sur la lutte contre pauvreté, les inégalités sociales et territoriales. On a l'impression qu'on dépense de l'argent public sans prendre en considération le critère de performance de la dépense. Ce qui a été d'ailleurs soulevé par la Cour des Comptes dans son dernier rapport sur la loi de règlement du budget 2022. Ainsi, la Cour a révélé qu'après six années de mise en œuvre, le chantier de la performance pâtit toujours de certaines insuffisances qui limitent l'atteinte des objectifs qui lui sont assignés. Mais là où le gouvernement est fortement attendu c'est au niveau de l'emploi dans la mesure où il a promis de faire de ce chantier la première priorité pour le reste de son mandat. Ainsi, la note de présentation du PLF fait référence à une feuille de route portant sur cette problématique. Dans cette feuille de route, qui n'est pas encore rendue publique, trois axes ont été retenus pour une enveloppe de 14 MMDH. Le premier axe est relatif à la stimulation de l'investissement (12 MM DH). Il s'agit de primes à l'emploi, de renforcer les TPME (toutes pettes et moyennes entreprises) à côté des grands projets d'infrastructure. Le deuxième axe concerne l'encouragement de l'emploi rural (1MM DH). Le troisième et dernier axe porte sur l'amélioration de l'efficience des programmes de promotion de l'emploi (1 MM DH) en élargissant le programme « Taehil » aux non-diplômés et en développant la formation par apprentissage. Reconnaissons en toute objectivité que de telles propositions ne sont pas nouvelles. Elles sont déjà dans les tiroirs du Ministère de l'emploi. Le gouvernement a encore une fois manqué d'imagination. C'est la montagne qui a accouché d'une souris.