Dans une démarche singulière qui reflète cette interaction ininterrompue entre diverses formes d'expression littéraires et artistiques, un débat a fait surface ces dernières années à l'échelle nationale au sujet des possibles rapports qu'entretiennent le cinéma et la poésie, et leur apport à la scène artistique, à la faveur de ce métissage qui fait partie de ce qu'on appelle « l'hybridation ». Cette hybridation a atterri dans le champ littéraire en provenance du domaine de la chimie grâce à un parterre d'écrivains et de critiques ayant veillé à emprunter des techniques et des formes d'expression issues d'un autre champ, tels que les écrivains égyptien Edouard El Kharrat dans « Rama et le dragon » et syrien Salim Barakat dans « Les Plumes » et ce, en mettant à profit certaines techniques tirées de la poésie dans l'écriture de romans. Des techniques qui ont aussi trouvé refuge dans le monde du septième art à travers « le cinéma poétique ». En effet, les exemples ne manquent pas. Et pour preuve, de nombreux films faisant partie du répertoire du cinéma poétique, dont « Un Chien Andalou » (1929) de Luis Buñuel, « La Belle et la Bête » (1946) de Jean Cocteau, « Le Vent nous emportera » (1999) d'Abbas Kiarostami, « Le Cercle des poètes disparus » (1989) de Peter Weir et « L'Emigré » (1994) de Youssef Chahine. Force est de constater que les « migrations » de et vers d'autres formes d'expression sont nombreuses et variées. Ainsi, le roman peut « migrer » vers le cinéma, comme en témoignent certaines œuvres du grand écrivain égyptien Naguib Mahfouz, alors que des images et des dessins ont « fait le chemin » vers la poésie, comme l'ont bien réussi certains écrivains marocains. Dans le cadre de cette relation entremêlée entre le cinéma et la poésie sur le plan national, un livre intitulé « la Poésie et le Cinéma », écrit par un collectif d'auteurs a été publié récemment par la Maison de la poésie au Maroc, avec le soutien du ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication et sous la supervision et la coordination de MM. Abdeslam Moussaoui et Mohamed Chouika. La parution, en ce timing, de cet ouvrage compilant les interventions présentées lors d'un colloque tenu en novembre 2019 à l'initiative de la Maison de la Poésie au Maroc et de la Société marocaine des critiques de cinéma, démontre l'importance de la continuité du rapport liant le septième art et la poésie. En effet, aborder cette relation via le livre « Cinéma et Poésie » signifie, tout simplement, la possibilité d'élaborer, à l'avenir, des idées à propos des liens que peuvent entretenir les poètes et les acteurs dans le domaine du cinéma au Maroc, en particulier les réalisateurs qui ont expérimenté diverses formes d'expression pour la construction d'univers inhérents à leurs œuvres cinématographiques. L'intérêt de tout ce processus réside dans le fait que la poésie a ses propres images qui ont été tissées à travers le langage et les scènes métaphoriques, au même titre que le cinéma qui est doté, lui aussi, de ses propres images basées sur des scènes animées. D'où l'importance de cette question qui nous interpelle : comment les images et les scènes du septième art bénéficient-elles de celles poétiques ? L'ouvrage « la Poésie et le Cinéma » apporte ainsi des éléments de réponse en arguant qu'il s'agit de « multiplier les angles de vue et d'examiner les modes qui permettent à la poésie de tirer profit du septième art et de ses techniques d'expression, et de saisir la manière à travers laquelle l'on peut transformer la poésie en une matière capable d'être assimilée par les langages et les techniques du cinéma, en vue de réaliser des œuvres cinématographiques, avec des rimes visuelles et des métaphores bien enracinées dans les champs de la beauté et du rêve. Selon cet ouvrage, les différentes interventions d'une pléiade de critiques de cinéma et de poésie ont braqué les projecteurs sur les perspectives prometteuses ouvertes par les cinéastes et les poètes dans un environnement marqué par la communication esthétique entre la poésie et le cinéma, de même qu'ils ont mis en avant les différents contextes ayant donné lieu à ce métissage entre deux arts si raffinés. Ces perspectives ouvertes par les cinéastes et les poètes démontrent, si besoin est, cette volonté commune qui anime les deux parties pour la réalisation d'œuvres conjointes. De l'avis des intervenants cités dans ce livre, les détails pratiques afférents à cette action suscitent de sérieuses problématiques. En effet, les gens se sont habitués à considérer la poésie comme un art insaisissable et mystérieux qui requiert des connaissances approfondies et un large référentiel sur l'évolution des courants de la rhétorique et de la poésie dans le monde, alors que le grand écran est resté synonyme de contes cohérents et d'histoires récurrentes, dont la compréhension ne nécessitait que la connaissance du langage utilisé dans le dialogue entre les principaux protagonistes du film. Loin du contenu du livre et dans le cadre de ce débat, il est possible de voir émerger des divergences d'opinions autour de l'art de la poésie, qui n'est pas une unité homogène se trouvant toujours dans le champ du difficile à saisir. Par exemple, les poèmes de Mahmoud Darwich, dont le sens est complexe et subtile, ont servi à Marcel Khalifa pour assouvir sa passion à même de transformer quelques uns en de belles chansons. En revanche, il existe d'autres genres de poèmes qui sont très difficiles à comprendre, comme ceux des poètes Abu Tammam (IX siècle) et Al Farazdaq (VIII siècle), ce qui signifie que certains recueils de poèmes peuvent, contrairement à d'autres, être réécrits et adaptés au cinéma. Afin de détricoter ce problème, qui a effleuré l'esprit des contributeurs à cet ouvrage, force est de relever l'émergence d'une vision selon laquelle les passionnés et les intéressés peuvent faire éclater les frontières dressées entre les genres littéraires et artistiques, surtout avec l'évolution des théories de réception, la multiplication des études sémiotiques des phénomènes artistiques et les grandes mutations que la poésie a également connues, sans omettre le développement des courants et des écoles cinématographiques à travers le monde et l'émergence de nouveaux réalisateurs et scénaristes hors-normes. Pour ce faire, le point de convergence au Maroc et dans le monde reste donc celui de suivre le chemin emprunté par des poètes qui étaient dotés d'une grande habilité à faire le saut vers le cinéma, en écrivant des scénarios et en réalisant des films, dont Apollinaire, Cendras, Desnos et Prévert, entre autres. Si chaque film a une vision élaborée collectivement ou individuellement, ce sont les modes de tournage, les angles de vue, le découpage et le montage qui démontrent la manière de traiter les textes poétiques et la façon à suivre pour les transformer pour créer de nouveaux univers cinématographiques. A ce stade interviennent le talent et le savoir-faire des responsables de la production de toute œuvre cinématographique ainsi que la volonté des poètes de s'ouvrir sur le septième art, de manière à mieux valoriser le cinéma et la poésie, de permettre aux deux univers littéraire et artistique de se donner l'accolade et au destinataire de disposer de styles nouveaux totalement différents de ce qu'il avait tendance à savourer.