Face au tarissement du gaz russe Une ressource devenue « rare » : l'Allemagne a activé jeudi le « niveau d'alerte » sur son approvisionnement en gaz, qui rapproche le pays de mesures de rationnement après la baisse drastique des livraisons de Moscou via le gazoduc Nord Stream. « Nous sommes dans une crise gazière. Le gaz est désormais une ressource rare », a déclaré le ministre de l'Economie Robert Habeck lors d'une conférence de presse. Il s'agit de la deuxième étape du dispositif sur l'approvisionnement en gaz allemand, activé en mars dernier à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Le gouvernement pourra dans ce cadre « soutenir » les acteurs du marché pour faire face aux prix élevés. La troisième et dernière étape de ce plan basé sur un modèle de l'Union Européenne, le « niveau d'urgence », permettrait à Berlin d'organiser un rationnement afin de répartir les volumes entre particuliers, administrations, industrie. « J'espère que ce ne sera jamais le cas », a réagi le ministre à propos de ce scénario cauchemardesque pour la première économie européenne, dont les groupes industriels, et notamment le puissant secteur de la chimie, consomment des quantités immenses de gaz. L'Allemagne réagit ainsi à la baisse de 60%, depuis la semaine dernière, des livraisons via Nord Stream, le groupe russe Gazprom arguant d'un problème de maintenance pour le gazoduc. Mais pour le gouvernement allemand, il s'agit d'une « décision politique », d'une « attaque économique » destinée à peser dans le bras de fer entre Moscou et les pays occidentaux. Cette décision a eu un lourd impact sur plusieurs pays européens, en particulier l'Allemagne, l'Italie et la France. La Suède est passée cette semaine en niveau de « pré-alerte » sur le gaz. Pour Berlin, qui continue d'importer 35% de son gaz de Russie, contre 55% avant la guerre, la situation est « sérieuse ». « Nous traversons une crise du gaz », a souligné M. Habeck qui multiplie les appels à économiser cette ressource, tant chez les particuliers que dans le secteur économique. Pour le moment, les réserves en Allemagne se situent à 58%, un niveau « supérieur à la moyenne des dernières années ». Mais si les livraisons via Nordstream « restent à un niveau bas », le remplissage des réservoirs pour l'hiver n'est pas garanti. « Tout va bien en ce moment, mais cela ne doit pas nous faire oublier que dans l'état actuel des choses, tout ira mal à l'avenir », a résumé le ministre, une figure du parti écologiste. Selon les évaluations de l'Agence fédérale des réseaux, sans une limitation des exportations de gaz -difficile à défendre sur un plan européen-, l'Allemagne n'atteindra pas cet objectif. Si rien ne change, une pénurie de gaz pourrait se déclencher dès février 2023. En cas d'arrêt total des livraisons par Moscou, elle pourrait arriver dès « mi décembre ». Ce ne sont pas les premières mesures d'urgence prises par l'Allemagne. Le gouvernement d'Olaf Scholz, aux objectifs climatiques ambitieux, a déjà fait sensation en annonçant un recours accru au charbon pour économiser du gaz, qui représentait 15% de l'électricité produite en 2021. Le débat sur le nucléaire, que l'ancienne chancelière Angela Merkel a décidé d'abandonner après la catastrophe de Fukushima en 2011, est aussi relancé, même si la coalition au pouvoir y est farouchement opposée. Les trois derniers réacteurs du pays vont être arrêtés à la fin de l'année. Leur prolongation pourrait « créer un espace de respiration », a ainsi déclaré jeudi Veronika Grimm, membre des influents « sages » économiques, qui conseillent le gouvernement. Berlin a en outre annoncé l'ouverture d'une ligne de crédit de quinze milliards d'euros via la banque publique KfW pour financer l'achat de gaz, dont les tarifs ont flambé, par l'acteur responsable des achats pour l'Allemagne, Trading Hub Europe. Robert Habeck a d'ailleurs affirmé que le gouvernement « surveille » la hausse des prix du gaz, et n'exclut pas de recourir à un « mécanisme de régulation des prix ». L'objectif est d'éviter un scénario « à la Lehman Brothers » qui verrait des fournisseurs arrêter d'acheter le gaz devenu trop cher et donc ne plus livrer les clients, selon le ministre. Depuis le début de la guerre en Ukraine, fin février, Berlin cherche en outre de nouvelles sources d'approvisionnement, via le gaz liquéfié américain ou qatari notamment.