Nabil El Bousaadi Avec l'occupation, par l'armée russe, de la centrale nucléaire de Zaporijjia au sud de l'Ukraine, le niveau d'inquiétude de la communauté internationale est monté d'un cran puisqu'en réponse aux sanctions économiques sans précédent prises, de manière unanime, par une Europe que tout le monde croyait divisée, Vladimir Poutine s'est trouvé contraint de brandir la menace suprême et la plus effrayante ; à savoir, celle du nucléaire. S'agit-il d'une réelle menace et y'a-t-il lieu de craindre que le maître du Kremlin, qui dispose des moyens nécessaires, ne plonge le monde dans cet hiver atomique tant redouté ? Toutes les options étant, pour l'heure, sur la table, l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA), considérant qu'il s'agit-là d'«une situation sans précédent car c'est la première fois qu'un conflit militaire se déroule dans un pays doté d'un large programme nucléaire », a mis en garde contre le « grave danger » qui plane sur le monde et, en lui emboitant le pas, le Conseil de Sécurité de l'ONU a, immédiatement, appelé à la tenue d'une réunion d'urgence. Ainsi, pour Nikolaï Sokov, expert des armes nucléaires russes au Centre de Vienne pour le désarmement et la non-prolifération, la déclaration du président russe devrait être perçue comme étant « un signal politique » à travers lequel, d'après Rafael Loss, spécialiste des questions de doctrine nucléaire au Conseil européen des relations internationales, Vladimir Poutine chercherait à faire d'une pierre deux coups en exerçant, d'une part, « une pression sur les émissaires ukrainiens » qui sont en train de négocier avec les russes à la frontière avec la Biélorussie en leur rappelant que la Russie est « prête à aller loin si Kiev ne cède pas aux exigences de Moscou» et en avertissant, de l'autre côté, « l'Occident qu'en cas d'ingérence dans le conflit avec l'Ukraine, il se réservait l'option d'utiliser l'arme nucléaire ». Mais, pour Bruno Tertrais, directeur-adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et spécialiste des questions de dissuasion, tout cela rentrerait dans le cadre de la dissuasion pure et simple. Ainsi, Moscou se servirait, pour l'instant, du nucléaire pour « impressionner », « faire peur » et « diviser » et, à la question de savoir si la Russie serait prête « à employer des armes nucléaires », le directeur-adjoint de FRS n'y croit pas du tout car rien, pour le moment, n'accrédite cette thèse et qu'en conséquence, « il ne faut pas s'inquiéter pour de mauvaises raisons ». En abondant dans le même sens, Nikolaï Sokov estime, par ailleurs, que « le recours à l'arme nucléaire dans le contexte de ce conflit est une terrible erreur qui va faire beaucoup de mal à la Russie et à Vladimir Poutine » car, en le faisant « passer pour quelqu'un d'imprévisible, de dangereux et de prompt à brandir la menace nucléaire », elle ne va contribuer « qu'à renforcer l'isolement russe sur la scène internationale ». Cette escalade nucléaire russe pourrait créer, en outre, un « climat d'incertitude dans lequel un accident tragique peut survenir » du moment qu'une part non négligeable des missiles russes sont « à double-usage ». Aussi, en pouvant servir, à la fois, de missiles conventionnels et de missiles nucléaires, il devient difficile de savoir si le missile tiré n'est pas équipé d'une bombe nucléaire ; ce qui risque de pousser les autres puissances nucléaires à lancer des frappes préventives qui feraient entrer le conflit dans une autre dimension. Serions-nous sur le point d'entrer dans cette guerre nucléaire tant redoutée depuis longtemps déjà et qui ne pourrait générer rien d'autre que l'apocalypse ? Espérons qu'il n'en sera rien, que la dissuasion finira par prendre le dessus et attendons pour voir...