La réouverture des salles de cinéma rappelle, comme par hasard, la belle époque des ciné-clubs. On attendait ce dimanche de rencontre dominicale pour voir et discuter le film proposé dans son ensemble, après le fameux «the end», de chaque projection. Une occasion pour amorcer, à présent, le souvenir des ciné-clubs qui avaient, pendant de longues années, mobilisé et séduit une pléiade d'intellectuels, à travers nombre de régions du pays. A l'époque, le peuple estudiantin animait des «halakiat» dans l'enceinte des campus universitaires, au moment où l'Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM) fleurissait encore. Par extension de cette dynamique, des projections de films programmés pendant ces séances de ciné-clubs qui drainaient, chaque week-end, une large assistance, étaient bien sélectionnées parmi le répertoire des chefs d'œuvre d'antan. En effet, lors des années 70 et 80, les mouvements de libération prospéraient et faisaient échos dans les pays en voie de démocratisation. Le nôtre ne sortait pas de cette règle, où les partisans de la démocratie et du progrès exprimaient haut et fort ces besoins incessants. Les ciné-clubs, à partir des productions d'Eisenstein, Lelouch, Chabrol, Godard et bien d'autres permettaient un prétexte idoine pour aborder des échanges sur le texte proposé, mais pareillement sur le contexte global, compte tenu des effets de simulation qui s'infiltraient parfois inconsciemment aux âpres débats. A ce propos, on s'occupait beaucoup plus des contenus des films que des techniques de cinéma, car vu sa complexité, on ne se hasardait pas à approcher ce volet ayant trait aux prises de vue des films, au plan américain, au plongé ou contre plongé, au panoramique, aux effets visuels, aux trucages... Actuellement, que reste –t-il encore de cette belle époque qui contribuait largement à la prise de conscience, au façonnage des goûts et au relèvement créatif et comportemental ? Pas grand-chose, si l'on sait que ces bonnes habitudes se sont sensiblement effritées par la quasi disparition des ciné-clubs et leur fédération, hormis la prolifération des formes similaires qui, après tout, n'ont rien d'identique avec le texte et le contexte sus cités. Il est bien évident que l'industrie du cinéma au Maroc connait un essor considérable et se propulse parmi les plus huppées d'Afrique en termes d'idées et de thèmes, compte tenu des nombreuses participations dans les compétitions à travers le monde, grâce à l'émergence de jeunes cinéastes qui ont osé et donné beaucoup de punch à cette nouvelle vague. Dans le même sillage, on constatera, non sans réjouissance, la tenue des festivals de cinéma thématique dans plusieurs villes du pays (méditerranéen, africain, féminin, migratoire...). En revanche, on retiendra, non sans amertume non plus, la disparition ou le délabrement de plus de la moitié des salles de cinéma au Maroc. Mais, au regard de cette situation controversée, peut-on avancer, dès lors, qu'on possède une véritable «culture de cinéma», celle qui, par l'image et le message, contribue fortement à la confection de la conscience collective édifiante? Incontestablement, les ciné-clubs tels qu'ils ont été conçus et présentés par des jeunes marocains empreints de civisme et d'activisme cultivaient cette fonction, dans une ambiance, certes, de refus et de révolte. Après tout, la cinéphilie, au-delà de son aspect de plaisir des sens, peut toujours constituer un leitmotiv d'échange et de réflexion sur nos conditions de vie et nos manières d'agir, dans un monde en perpétuelle mutation. La réédition des ciné-clubs, peut-être sous d'autres moutures, pourrait enclencher encore ce débat fructueux dont les générations montantes ont grandement besoin, puisque le cinéma exerce, en fait, des impacts fascinants sur son assistance.