On raconte qu'en 1936, alors qu'il se trouvait sur son lit de mort, le roi George V, voulant s'en aller l'âme apaisée, avait demandé à ses proches «Comment va l'Empire ?». Ces derniers l'ayant rassuré, c'est en étant profondément soulagé que le monarque s'en alla rejoindre l'empire des morts. Or, si la même question était posée aujourd'hui à sa petite-fille Elizabeth II, cette dernière n'aurait pas d'autre alternative que celle de répondre, d'un air courroucé, que «l'empire va mal». En effet, l'empire britannique va mal. Il va même très mal depuis que le 15 septembre dernier, lors du discours de rentrée du parlement local de Bridgetown, Sandra Mason, la gouverneure générale et, de facto, la cheffe d'Etat de La Barbade et représentante officielle de la Reine d'Angleterre dans l'île, estimant que «le temps est venu» de se débarrasser du passé colonial britannique, a, officiellement, évoqué son intention de transformer La Barbade en république. Elle entendrait donc faire quitter à La Barbade la Couronne britannique au motif que cette dernière, qui a «accédé à l'indépendance depuis plus d'un demi-siècle, peut, désormais et sans l'ombre d'un doute, s'autogouverner». Elle ajoutera même que cette transition «serait achevée avant le 55ème anniversaire de l'indépendance de l'île, le 30 novembre 2021». Cette volonté de couper le cordon monarchique n'est pas « isolée ». Elle s'inscrit, en effet, dans ce mouvement général d'émancipation des anciennes colonies britanniques des Antilles qui avait déjà permis à la République Dominicaine, à Trinidad et Tobago et à Guyana de s'ériger en républiques en s'affranchissant de la tutelle de la Couronne britannique et elle va permettre à la Jamaïque de leur emboîter le pas, incessamment, conformément au souhait de son Premier ministre Andrew Holness qui en a fait une priorité de son gouvernement. Pour rappel, si La Barbade a obtenu son indépendance en 1966 et que l'idée d'instaurer une république avait émergé au début des années soixante-dix, ce n'est qu'à la fin des années quatre-vingt dix, qu'une commission chargée de la révision constitutionnelle a formellement validé cette hypothèse. Or, même si elle s'affranchit de la Couronne britannique, la Barbade restera, néanmoins, dans le Commonwealth, cette «grande famille d'outre-mer» présidée par Elizabeth II aujourd'hui plus forte que jamais après que, dans le cadre du Brexit et pour prendre le relais des quarante-sept années d'ancrage à l'Europe, le Premier ministre Boris Johnson l'ait placée en «pôle position» dans son grand projet libre-échangiste de cette Grande-Bretagne mondiale (Global Britain) qui se voudrait résolument tournée vers le reste du monde. Pour en revenir à La Barbade, il y a lieu de signaler qu'outre l'élection d'un président, sa Cour de justice qui siège à Londres va devoir être transférée à Bridgetown, la capitale de ce micro-Etat de 287.000 habitants dont l'économie, fondée sur le tourisme – notamment les croisières et la finance off shore – est tournée vers Miami et New York avec comme devise « le dollar barbadien » qui colle au cours du billet vert. Enfin, le fait même que la Reine Elizabeth II n'ait pas officiellement réagi à ce «Queenxit» et que Buckingham Palace se soit contenté d'affirmer que cette décision concerne «le gouvernement et le peuple de La Barbade» est la preuve qu'à l'âge de 94 ans et après 68 ans de règne, Sa Majesté veut laisser s'effacer, d'elle-même, cette bizarrerie de l'histoire coloniale de son pays. Qu'en diront ses successeurs ? Attendons pour voir... Nabil El Bousaadi