Le document de travail intitulé «salaire minimum au Maroc : faits stylisés et impacts économiques», disponible sur le site de Bank Al-Maghrib, ne manquera pas de susciter la réaction des partenaires sociaux eu égard aux conclusions auxquelles il a abouti, conclusions qui pourraient plaire à certains et déplaire à d'autres. D'ailleurs, les auteurs dudit document, qui s'expriment en leur nom sans engager nécessairement la responsabilité de l'organisme auquel ils appartiennent, veulent susciter le débat et avoir commentaires et critiques sur un travail, qui se veut pionnier en la matière. Pour ce faire, ils ont opté pour une démarche classique. Dans un premier temps, les auteurs ont procédé à un balisage théorique en rappelant les principaux modèles. Dans un deuxième temps, ils se sont penchés sur le cas marocain. Bien sûr, ils ont pris le soin, et c'est à leur actif, d'établir, à chaque fois que cela s'avère nécessaire, le lien entre les enseignements théoriques et l'analyse factuelle du cas marocain. Rappelons que le marché du travail ne présente pas les mêmes caractéristiques que les autres marchés : marché des capitaux et marché des biens et services. Sur le marché du travail, les acteurs en présence, à savoir employeurs et salariés, n'ont pas le même poids et le risque est grand de voir les plus puissants s'imposer au détriment des plus fragiles. Ce qui serait de nature à biaiser le fonctionnement normal du marché et la détermination du juste prix, ici le salaire. D'où la nécessité pour les pouvoirs publics d'intervenir à travers notamment l'instauration du salaire minimum(SM) et d'une réglementation touchant divers aspects liés au travail. A l'heure actuelle, la majorité des pays ont adopté le salaire minimum. Reste à savoir comment ce SM est-il déterminé. Plusieurs critères sont utilisés en la matière : des critères de nature sociale (coût de la vie, besoins des travailleurs, niveau des salaires, prestations sociales); des critères de nature économique (situation économique, compétitivité, niveau d'emploi, capacité financière des entreprises). Ainsi, 60% des pays, dont le Maroc, utilisent le coût de la vie, 50% utilisent en revanche la situation économique. Souvent, on combine plusieurs critères en prenant en considération à la fois les aspects économiques (compétitivité par exemple) et les aspects sociaux (pouvoir d'achat). Au Maroc, on le sait, on dispose de deux SM: l'un intéresse le secteur agricole (SMAG) et fixé à la journée ; l'autre porte sur les autres secteurs de l'économie (SMIG) et fixé à l'heure. D'après les données fournies par ledit document portant sur la période 1999-2019, le SMIG horaire est passé de 7,98DH en 1999 à 14,3 DH en 2019, soit un salaire mensuel respectivement de 1660 DH et 2700DH. Le SMAG journalier est passé, au cours de la même période, de 41,36DH à 73,22 DH, correspondant à un salaire mensuel de 1075 DH et de 1904 DH. Le taux de croissance annuelle durant la période retenue a été de 2,6% pour le SMIG et de 3,5% pour le SMAG. Ces taux sont largement inférieurs au salaire moyen agricole et non agricole. Le rapport entre le SM et le salaire moyen a connu une baisse entre 1999 et 2015. Malgré cette baisse, le rapport demeure, selon les auteurs, élevé par rapport à d'autres pays, laissant entendre que le SM est fixé à un niveau élevé. Ce qui reste à vérifier!! Sur la base de ces données, les auteurs ont tiré un certain nombre de conclusions qu'il serait utile de rappeler avant de discuter de leur pertinence. Ainsi, une augmentation de 5% du SMIG nominal conduit au terme du premier trimestre à une augmentation de 0,68% du salaire non agricole réel, de 0,53% de la productivité non agricole et d'une accélération du chômage urbain de 2,7%. Toutefois, au niveau de l'économie dans son ensemble, «l'analyse révèle qu'une revalorisation de 5% du SMIG aurait un impact relativement faible sur l'économie marocaine, mais qui reste négatif et permanent, touchant l'économie de manière structurelle». Auparavant, les auteurs n'ont pas manqué de souligner le «lien mitigé» entre le SM et le chômage dans la mesure où la corrélation entre la revalorisation du SMIG et le chômage urbain est légèrement négative. Une telle appréciation n'est-elle pas en contradiction avec l'accélération du chômage de 2,7% suite à une augmentation du SMIG de 5%? Par ailleurs, et c'est notre deuxième remarque, les auteurs considèrent que toute augmentation du SM conduit au développement de l'informel. C'est une assertion pour le moins discutable et ce pour plusieurs raisons : en premier lieu, le SM n'est pas le seul élément qui détermine la compétitivité d'une entreprises. D'autres facteurs interviennent tels que la fiscalité, le financement, les procédures administratives, le foncier, l'accès au marché etc… Qui plus est, une augmentation du SM pourrait capter une main d'œuvre motivée dont l'entreprise a besoin pour améliorer sa productivité ; la deuxième raison réside dans le fait que le SM est somme toute, rarement respecté par les entreprises comme le montrent plusieurs enquêtes sur le terrain et des témoignages recueillis auprès des syndicats. Enfin, si le recours à la technique de modélisation sophistiquée est souhaitable, il faut, en dernière instance, confronter les résultats obtenus à la réalité en optant également pour des approches sociologiques et autres. La réalité est par essence complexe. Seule une approche multidisciplinaire serait à même d'en saisir les mécanismes. Quid de l'impact des hauts salaires sur l'économie et la société marocaines?