C'est à Salé, ville ouverte aux quatre vents de l'océan Atlantique, qu'Abdallah Chakroun, père fondateur du théâtre radiophonique marocain, vit le jour le 14 mars 1926. Insaisissable. Le personnage échappe à toute classification. Il fut l'une des pyramides du théâtre et du journalisme au Maroc et une passerelle entre générations, en liant l'héritage et le patrimoine marocain avec cette vision universelle à la fois sensible, intelligente et esthétique. Ce fut également un créateur qui marqua l'imaginaire collectif des Marocains. De la fin des années 40 aux années 70, ses pièces cartonnaient sur les ondes radio pour le plus grand bonheur des auditeurs et auditrices. «Issu de la ville de Salé où de grands noms comme Chahid Benaboud, Said Haji, El Faqih Tetouani, Mohamed Doukkali ont vu le jour, Abdallah Chakroun est l'un des fondateurs du théâtre radiophonique. Un homme talentueux : auteur, chercheur et chasseur de talents. Il ne faut pas oublier que c'est lui qui fonda la première troupe radiophonique professionnelle au début des années 40, à savoir la «troupe de théâtre de Radio Maroc» qui est devenue par la suite une école », nous explique Khalid Amine, président du Centre international des études de spectacle. Comme un sculpteur, un peintre, un poète, Abdallah Chakroun excellait dans son travail et sa démarche artistique. Il contribuait en outre à la formation non seulement de la personnalité des Marocains, mais aussi de son imaginaire, tout en gardant la spécificité nationale. Abdallah naquit d'un père d'origine andalouse et d'une mère issue d'une famille slaouie. Il suivit son éducation et sa formation au sein des écoles coraniques, l'école Annahda, l'école régulière bilingue français-arabe. De même, il suivit des études dans l'enseignement supérieur à l'Institut des hautes études marocaines et des études d'arts de la scène à Paris. Tout ce parcours sculpta sa personnalité d'artiste aux multiples talents et facettes. Les prémices d'un génie artistique commençaient déjà à se dévoiler depuis son enfance. Le jeune Abdallah développait une passion pour l'art et une curiosité inouïe et innée pour la recherche. Des études des sciences traditionnelles, coran, fqih, Abdallah Chakroun s'ouvrit sur les langues et les littératures étrangères, sur la poésie, mais aussi et surtout sur la culture populaire marocaine. Dans son travail, l'homme s'inspira des paroles, des proverbes, du dialecte, des histoires, des musiques de l'héritage patrimonial marocain. En effet, juste après son retour de la ville des lumières et des arts, Paris, il intégra la radio nationale… Une belle aventure qui lui permit d'enrichir les oreilles des Marocaines et Marocains. «C'était un militant. Il fit des pièces qui défiaient la censure du protectorat et qui passaient d'une façon très fluide et intelligente à la radio. C'est quelqu'un qui a réconcilié les Marocains avec le théâtre. Il a aussi préparé le terrain pour plusieurs troupes, a donné du goût au public pour déguster les belles œuvres théâtrales», ajoute le membre du bureau exécutif de la Fédération internationale de la recherche théâtrale. Au fil des années, le répertoire théâtral radiophonique national s'est enrichi avec les belles œuvres marocaines et universelles interprétées avec brio par son camarade de route Amina Rachid, mais aussi d'autres figures du théâtre national dont Habiba Al Medkouri, Larbi Doghmi, Mohamed Ahmed Basri, Mohammed Hammadi Al Azrak, Abderrazak Hakam, Hammadi Amor, Hassan Al Joundi, Hammadi Attounsi, Hachemi Ben Amr, Thami Al Gharbi, Mahjoub Arraji, Abderrafii Jawahri, Hamidou Benlasoud. Des voix et des visages qui sont devenus familiers auprès des auditeurs et téléspectateurs marocains. «L'entrée des femmes comme voix dans le théâtre radiophonique lui revient. Il a convaincu les familles des femmes artistes d'intégrer le théâtre. Une première ! C'était lui également qui a posé les jalons et les piliers du théâtre radiophonique. Il faut signaler qu'il a contribué à la première répétition de la Maâmoura dans les années 51/52 et qui a connu la participation d'André Voisin et Abdessamad El Kanfaoui », explique Khalid Amine. Le Maroc a débuté le théâtre radiophonique presqu'au même moment où ce genre commença à se répandre aux Etats-Unis et en France, a-t-il ajouté. C'est à cette époque que ce genre théâtral a connu son âge d'or. Le don et le talent de cet artiste ne se sont pas arrêtés là. Car, il a apporté sa touche à la chanson marocaine moderne en écrivant des chansons qui n'ont pris, jusqu'à présent, aucune ride. Pour la petite histoire, c'est en 1958 qu'il écrivit la chanson « Bent lamdina » qui a été composée par Mohamed Benabdessalam et interprétée par Maâti Belkacem, sans oublier bien entendu l'autre tube remarquable «Al Masrara». Auteur dramaturge, réalisateur radio et télévision, scénariste, journaliste… Abdallah Chakroun compte à son actif une panoplie de publications ayant enrichi la bibliothèque marocaine dont «L'art de la radio, Tétouan» édité en 1957, «Poètes à la télévision» sorti en 1983, ainsi que 5 ouvrages qui ont été publiés par l'Union de radiodiffusion des Etats arabes à Tunis, à savoir «Le théâtre à la télévision et à la radio» (1984), «Les droits d'auteur à la radio et à la télévision» (1986), «La poésie malhoun à la radio» (1987) et «A l'aube du théâtre arabe au Maroc» (1988). L'écriture faisait partie prenante de sa vie. Plusieurs autres titres et ouvrages ont été écrits par sa plume inépuisable, entre autres «Une vie au théâtre», «La culture théâtrale», «Entretien radiophonique sur le théâtre arabe», «Les quatrains d'Abderrahmane El-Mahjoub sur les ondes hertziennes», «Le col de la colombe», «L'euphorie de la plume et la magnificence de la littérature» et autres. Pour rappel, il fit également un passage à la télévision, en assurant sa direction à deux reprises, notamment entre 1963 et 1965 et 1971 et 1973.