Que faut-il entendre par la vague et équivoque dénomination de «violence sociale» ? La violence représente, en soi, un point de rupture. Lui prêter un caractère social suppose une interaction collective, du moins ayant une incidence sur un ou plusieurs individus d'une société donnée. Toute forme de violence mériterait notre attention, non par curiosité intellectuelle ou par voyeurisme divertissant, mais par intérêt humain et politique. La violence sociale est politique par défaut. Elle rompt avec un ordre préétabli, celui des conventions sociales, des normes légales, des obligations institutionnelles, des devoirs moraux, et/ou des préceptes religieux… Certains diraient que cette liste normative à la Prévert représenterait les différentes expressions de la violence légitime exercée sur l'individu. Les règles, de par leur nature contraignante, sont coercitives. Elles sont supposées maintenir l'ordre convenu par les pouvoirs et la société. Théoriquement, nous serions en présence de deux formes complémentaires de la violence légitime. La première serait propre à l'ordre politique en place et disposerait d'un caractère objectif (législatif ; la seconde propre à l'ordre communautaire et se parerait donc de sa subjectivité culturelle. La majorité du temps, les individus s'y conforment, composent avec et flirtent des fois avec les lignes rouges. Par fatalisme, par adhésion, par appartenance ou par croyance, les individus se soumettent généralement à une foule folle de normes, de règles et de contraintes, quitte à s'en indigner en silence, quitte à les transgresser secrètement ou à les contourner habilement…Ecartons un contexte d'oppression, d'injustice, d'insécurité ou de revendications politiques où la violence porte les traits des aspirations des acteurs mobilisés. Les manifestations macrosociales de la violence ont le chic de relever des mouvements, des tendances et des phénomènes observables et analysables. Observons simplement la montée de la violence ordinaire, la médiatisation des agressions physiques, les conflits musclés et autres petits faits-divers. A s'exposer, au quotidien, à l'actualité déferlante de petites violences ordinaires, des réactions et interactions paradoxales s'opèrent : un ressenti d'insécurité croissant, une indignation mobilisatrice, une acceptation fataliste ou encore une désensibilisation relativisée contre, etc. ! Ces combinaisons pourraient donner lieu à des actions collectives, à des opérations contestataires, à des jeux de lobbying, à l'initiation de projets de loi, à des sanctions électorales ou encore à une mutualisation des ressources et des forces ou simplement au mutisme et à l'indifférence sociale… Mais au-delà de nos ressentis, de nos convictions, de nos prédispositions à agir ou à nous effacer, la question qui importerait toujours est : Pourquoi ? A quel moment l'individu bascule dans cette violence, y cède ? Chaque être est capable de violence. Mais il opère des choix et consent à l'ordre étatique et social, à la paix convenue. La médiatisation des violences et son émulation via les réseaux sociaux a juste permis d'en connaître l'étendue, d'enlever les oeillères, de briser certains tabous et de se confronter aux violences à en vomir. Libérer la parole des victimes, recueillir les témoignages, faire face aux atrocités humaines, les exhiber sur la place publique pourraient soit aviver notre empathie, soit conforter notre apathie. Nous pourrions soit trembler en silence, faire profil bas ou agir, investir la scène sociétale et politique, nous indigner et proposer une alternative légale qui réduirait l'impunité des injustes. Simplement, parce que l'impunité conforte la violence et en encourage le recours. Et simplement, parce que le silence, notre silence, est le complice muet, sourd et assourdissant de l'impunité.