Dramaturge et poète d'expression Amazighe, Said Abarnous fonde son travail sur l'interculturalité, que cela soit entre les multiples genres littéraires et expressions artistiques ou entre les différentes cultures ayant influencé le peuple marocain à travers l'étendue de son histoire millénaire. Parmi les œuvres théâtrales qui ont consacré la renommée de ce dramaturge d'Al Hoceima, il convient de citer, entre autres, «Taslit n wz'r'u» (Primé au festival national du théâtre à Casablanca en 2009, Prix de la culture amazigh de l'IRCAM, catégorie «Création littéraire» en 2011), « Tut nin Zu» (Grand prix au festival national du théâtre amazigh d'Agadir, 2011) et «Wi g iskemden tfuyt» (Prix du meilleur texte théâtral au festival national du théâtre à Tétouan, 2016). Il est également l'auteur de deux recueils de poème («Abrid ar ujenna», édité par l'IRCAM en 2011, et «Tizlatin n yennayer», en cours d'édition). Toutefois, son plus grand succès, comme il le confie lui-même à la MAP, reste la traduction en Amazigh de la pièce de théâtre «Sophonisbe» écrite par Voltaire. Dans son œuvre théâtrale, Voltaire, le célèbre philosophe des Lumières, s'est inspiré de l'espace culturel et historique amazigh pour mettre en lumière de grandes valeurs comme la dignité, l'orgueil et l'honneur, souligne Said Abarnous. Ces valeurs sont d'autant plus intéressantes qu'elles sont conjuguées au féminin et incarnées par Sophonisbe, une reine amazighe antique au sort tragique. En traduisant cette œuvre théâtrale, Said Abarnous voulait relever un défi: celui de mettre en avant la richesse de la langue amazighe, notamment en termes d'imaginaire, d'oralité et de diversité dialectale. Rude tâche. Puisqu'il s'agissait de traduire une pièce de théâtre en vers rédigée dans un français classique vers l'amazigh, une langue dont les aspects linguistiques demeurent «fortement influencés par l'oralité», comme il a tenu à souligner. Il s'agissait donc de concilier deux systèmes linguistiques foncièrement différents, mais aussi de prospecter un imaginaire culturel particulier, la finalité étant de «réduire l'écart du sens et de concilier les différences entre les deux systèmes linguistiques français et amazigh» dans tous les aspects ayant trait aux références culturelles, aux figures de style, aux expressions figées et aux proverbes. Comme le texte voltairien est rédigé en vers, il s'agissait aussi de travailler les aspects métriques de la traduction amazighe, tout en évitant de nuire aux caractéristiques syntaxiques, lexicales et poétiques amazighes. Cet effort a été reconnu et récompensé, puisque cette version amazighe de la pièce voltairienne a décroché le Prix de la culture amazighe au titre de l'année 2016 dans la catégorie «Traduction vers l'amazigh en tifinagh», délivré par l'IRCAM. Said Abarnous explique que son intérêt pour la traduction trouve ses germes dans une réflexion sur le théâtre amazigh et une ambition de réaliser un projet de traduction qui vise l'ouverture de la langue amazighe sur les traditions scripturales dans d'autres langues. Selon lui, cette ouverture est à même de permettre aux dramaturges amazighs de «diversifier leurs entrées vers l'écriture théâtrale» tout en découvrant d'autres approches, styles et méthodes de dramaturgie. Elle sert également à prouver que la langue amazighe est capable de saisir et de transmettre toute sorte de création littéraire. La création littéraire amazighe commence à porter ses fruits en révélant des écrivains, poètes et dramaturges talentueux, pense cet écrivain de 41 ans. Il juge à cet égard que les résultats sont encourageants, tout en soulignant qu'il reste encore un long chemin à parcourir. Said Abarnous met l'accent sur la «très riche» matière de création à exploiter, citant à cet égard la culture populaire, le patrimoine immatériel, les arts de vivre, outre la diversité culturelle et linguistique dont jouit le Royaume. Il lance ainsi un appel aux artistes et écrivains marocains afin de se saisir davantage de cette matière abondante et féconde et de la mettre en valeur.