Difficile d'être le nième journaliste qui vient interviewer cette grande dame Aïcha Ech-Chenna. Une militante adulée, honorée par tous pour son itinéraire, connue et reconnue comme celle qui a tout donné avec altruisme. Cette dame au grand cœur, qui a tant fait pour les mères célibataires en situation précaire. Conviviale et chaleureuse, Aicha Chenna l'est tout le temps et elle tient à vous le démontrer en mettant tous les ingrédients de la bonne ambiance quand elle vous reçoit.Elle dégage un amour incommensurable qu'elle consacre à une noble cause. Elle a le tempérament des battantes et ne recule point devant la difficulté pour avancer et réaliser ses objectifs. Aïcha Ech-Chenna a forcé les consciences, délié des langues, des bourses et des cœurs. Al Bayane : Que représente pour vous l'ambiance spirituelle et sociologique que procure le mois sacré du ramadan ? A.Chenna : Le mois de ramadan est une période où on se remet en question et où on essaie de ressentir spirituellement, socialement mais financièrement aussi ce que peut ressentir un pauvre qui ne possède absolument rien. Un moment de partage, en solidarité avec ceux qui n'ont rien. C'est aussi un mois de rencontre privilégiée avec notre Dieu, un moment de communion entre le créateur et sa créature. Ramadan pour moi c'est aussi une occasion de faire son autocritique, un moment d'introspection et de remise en question. C'est un moment où je dois me poser des questions. Qu'est ce que j'ai fait de bien ? Qu'est ce que je n'ai pas fait de bien ? Où je dois encore m'améliorer et qu'est ce que je peux améliorer en tant qu'élément qui vit dans une société. Pour moi, c'est ça l'Islam. Ce n'est pas simplement jeûner et faire sa prière. Tout le monde doit se poser la question, Qu'est ce que j'ai fait concrètement durant l'année pour les pauvres et les démunis, je ne parle pas de les assister, je suis contre l'assistanat, mais de les aider à s'en sortir. Ramadan peut tenir en une phrase : Un mois d'examen collectif Comment vous organisez vos journées durant ce mois ? Les soirées ramadanesques sont propices aux rencontres de tous genres. Avez-vous le souvenir de quelque chose qui vous a marquée durant l'une d'entre elles ? Ma journée je la consacre entièrement et autant que possible à mon travail au sein de l'association. Je passe le plus clair de mon temps ici même, dans ces locaux. Avec mes problèmes de santé, il m'arrive de ne pas être en forme. Quand je ne suis pas bien portante, je reste chez moi, mais toujours à proximité d'un téléphone pour me tenir informée des événements et m'entretenir avec mes collaborateurs. Il y'a une quarantaine d'années, j'ai passé un contrat avec Dieu : Toutes les années qui me reste à vivre je les consacrerai à l'association. Tout ce que vous allez me donner vous mon créateur, moi sur les 4/4, je m'engage à consacrer 3/4 pour « solidarité féminine » et le 1/4 pour mon foyer, mon mari et mes enfants. Et je suis largement satisfaite comme cela. Pour les soirées, Ramadan ou pas, je les passe généralement chez moi. Est-ce que je suis une femme qui sort le soir ? Non, je suis plutôt casanière, je préfère rester tranquillement à la maison. Je n'ai plus la force et l'énergie pour sortir le soir sauf quand je suis vraiment obligée. Comme pour ce soir où je suis invitée, par le consulat américain, au repas de la rupture du jeûne, un Ftour pour la société civile. Mais c'est vraiment quand je ne peux pas dire non et quand c'est l'occasion pour représenter fièrement et dignement « solidarité féminine ». Etes-vous de ceux qui laissent apparaître des sautes d'humeur durant la période du jeûne ? Pourquoi ? Actuellement à cause de mon état de santé, les médecins m'ont interdit de jeûner. Mais je n'ai pas le souvenir d'avoir été agressive et d'avoir manifesté des sautes d'humeur. Je peux être fatiguée mais être agressive, non. D'ailleurs je suis choquée par ceux qui sont énervés, à cran et qui font subir leur mauvais caractère à la société. J'estime qu'ils jeûnent pour rien si ce n'est pour provoquer des accidents et des bagarres à chaque coin de rue. Ramadan, c'est fait pour s'aimer. C'est la fête de l'amour, de la fraternité, de la tolérance… Quelle appréciation portez-vous sur la programmation Tv sur les chaînes nationales ? Etes-vous d'accord avec ceux qui estiment que le niveau esthétique et professionnel des sitcoms pêche par son indigence pour ne pas dire sa médiocrité? À qui incombe la responsabilité de cette situation ? Encore cette année, il y'a pas mal de productions marocaines de bonne qualité. Ce n'est pas facile pour les artistes aussi. Ils travaillent avec les moyens du bord, n'ont pas beaucoup de gens qui écrivent et arrivent tout de même à s'en sortir. Moi je dis qu'il faut aussi laisser le temps au temps. Nous sommes en transition. C'est-à-dire que si une production ne me plait pas à 100%, je peux critiquer comme bon me semble, envoyer des reproches à tort et à travers, mais je ne rejette pas entièrement et je continue à regarder. Parce que, et il faut le dire, les productions étrangères qu'on nous présente ne sont pas meilleures que les nôtres. Moi, je regarde, je constate, je critique mais j'accepte les erreurs de mon cinéma, s'il y'a erreurs. Et c'est seulement comme ça qu'on pourra s'améliorer et c'est comme ça qu'on peut éduquer une population. L'audimat, reste cependant, le meilleur moyen de savoir si les marocains regardent ou ne regardent pas. Quelles sont vos lectures préférées durant ce mois sacré ? Je lis tout. Je suis une amoureuse inconditionnelle du livre, du roman. Je n'ai pas de préférence particulière, je lis tout ce qui me passe par la main. Mais sinon, coran et chapelet, sont mes fidèles compagnons. Je récite le coran tous les jours et mon chapelet ne me quitte jamais. C'est en quelque sorte mon Yoga. Il y' a des personnes qui paient pour des cours de Yoga dans des centres de fitness, moi mon yoga quotidien, c'est ma prière et mon chapelet. Quel regard portez-vous sur le paysage médiatique marocain : presse écrite et audiovisuelle ? En toute honnêteté, j'ai une profonde estime, un profond respect pour les médias et les journalistes. Ils exécutent brillamment leur mission. Celle du transfert de savoir. Ils s'immiscent dans les foyers marocains, parlent aux marocains, traitent des problèmes des marocains et directement avec les marocains. La communication c'est tout un art. Une science qu'il faut apprendre à maîtriser. Il faut apprendre à communiquer. Qu'est-ce qui a changé dans la société marocaine ? Les mécanismes de sociabilité qui ont permis de perpétuer les fondamentaux de la personnalité marocaine fonctionnent-ils toujours ? Aujourd'hui le Marocain accepte de se voir dans une glace. Alors qu'avant on n'osait pas l'aborder encore moins pouvoir lui parler de ses problèmes.Aujourd'hui, il accepte mieux la critique et se montre ouvert aux discussions. Le Maroc est un pays en pleine mutation. Et le Marocain est en train d'absorber les changements petit à petit de ces fondamentaux. En cinquante ans, il y a eu trop de changement. Il faut laisser le temps à la société d'absorber, de s'acclimater, de s'approprier ces changements. Pas plus tard que ce matin, j'étais au tribunal pour une affaire, et ce que j'ai vu et entendu prête à la réflexion et nous avons, nous la société civile, et vous, médias, énormément de travail d'éducation à faire. Un travail de fond pour développer notre société, l'éduquer, la protéger quelque part. Et, on ne peut la protéger que par son renforcement, spirituel, social et économique. Quand on m'entend parler, je donne l'impression que je ne suis pas optimiste. Je dirais que je suis plutôt réaliste. Il suffit qu'il y'ait une carie qui ronge un arbre tous les jours pour qu'il s'écroule. Alors si on laisse les termites nous bouffer d'en bas, on ne peut pas développer le pays d'en haut. Il faut que les bases soient solides et ce n'est que là, que vous journalistes, vous entrez en scène. Vous avez un rôle crucial dans la sensibilisation des jeunes et des familles. Il faut les éduquer, les former, les amener à assumer des responsabilités. Ou alors, on est démissionnaires et on tombe tous dans le même trou, ou bien on se sert les coudes et on essaie d'aller vers l'avant et on améliore notre Maroc.