Le différend du Sahara occidental est l'un des contentieux territoriaux les plus vieux dans le continent africain. Le Front Polisario et le Royaume du Maroc se disputent la souveraineté sur cette ancienne colonie espagnole. Alors que le Front séparatiste du Polisario, contrôlé par l'Algérie, se réfère au principe du droit des peuples à l'autodétermination comme fondement de ses visées séparatistes, le Maroc, quant à lui, fonde la légitimité de ses revendications sur ses droits historiques sur le territoire en question. Contrairement aux autres conflits territoriaux, le différend saharien revêt une extrême complexité due essentiellement à la singularité qui caractérise la structure sociologique de la population sahraouie. Bénéficiant d'une structure sociale tribale qui est, en réalité, identique à celle de toutes les populations maghrébines, le Front Polisario prétend que «le peuple sahraoui», ayant une «identité propre», constitue une entité sociologique distincte du reste de la population marocaine. A vrai dire, si les Sahraouis ont été à tort distingués du reste des marocains, c'est notamment à cause de la colonisation qui s'effectuait graduellement par deux puissances coloniales étrangères. Aussi, si le Maroc n'avait-il été soumis qu'à un seul régime de protectorat, le différend saharien n'aurait pas vu le jour. Quant à parler d'un «peuple sahraoui», il faudrait dans ce cas inclure les populations sahraouies qui vivent en Algérie, en Mauritanie, en Libye et au Mali. Une telle logique conduira inéluctablement à une remise en cause des frontières actuelles de tous les pays frontaliers du Sahara et du Sahel. En réalité, jamais dans l'histoire, le Sahara n'a constitué une entité politique autonome et indépendante. La population sahraouie est par définition constituée de tribus nomades qui sillonnaient tout le territoire du grand Sahara. De surcroît, il convient de rappeler que la nation marocaine est fondée sur «la volonté du vivre ensemble». En dépit de toutes les caractéristiques qui lui sont intrinsèques, la population sahraouie est avant tout une population marocaine à l'instar de la population amazighe, juive ou arabe. Par ailleurs, si le pouvoir militaire en place en Algérie, qui contrôle le Front Polisario, a fait de la question du Sahara un moyen de légitimation politique interne et un prétexte lui permettant d'éterniser le statut quo dans la région, au Maroc, cette affaire constitue une véritable cause nationale autour de laquelle il y a un consensus et une unité entre les différents acteurs sociopolitiques nationaux. L'on pourrait même soutenir que ce différend a renforcé la cohésion nationale et a mis les marocains devant une véritable épreuve en termes de nationalisme. En ce sens, cette unité et ce consensus se palpent à travers une mobilisation nationale via de nombreuses manifestations, au Maroc et à l'étranger, des acteurs politiques et associatifs nationaux. Ainsi, la présente contribution tend à mettre en évidence la stratégie marocaine consistant à projeter cette unité nationale au sujet du différend saharien sur le plan international ainsi que les enjeux qui sous-entendent cette projection. Mais tout d'abord, il convient de mettre en exergue les facteurs qui expliquent le consensus des Marocains quant à l'affaire du Sahara ainsi que les différentes formes de manifestation de ce consensus. Force est de constater que la gestion du dossier du Sahara occidental par le Maroc a, dès le déclenchement du différend en 1975, été caractérisée par une approche inclusive impliquant tous les acteurs politiques nationaux dans le processus de règlement de ce conflit. En effet, bien que le Maroc ait été conscient de l'importance d'avoir un appui international pour renforcer sa position dans le conflit saharien, il ne s'est pas pour autant appuyé sur un quelconque soutien externe. Une telle posture s'explique par le fait que les relations internationales se caractérisent par des changements constants dans les rapports de forces. Lesquels rapports sont dans une large mesure tributaires des intérêts nationaux des grandes puissances. C'est la raison pour laquelle le Maroc a veillé à accorder la priorité à la référence nationale, en tant que soubassement de son action extérieure, en ce qui concerne ce dossier. En effet, la Marche Verte a constitué l'expression et l'illustration de cette unité nationale au sujet du différend saharien. Plus qu'une récupération d'un territoire occupé, cette Marche a entraîné le report sine die de tous les problèmes de nature à créer des divergences entre les acteurs politiques nationaux. Car, la question de l'intégrité territoriale transcende toutes autres considérations politiques. Ainsi, cette Marche a vu la participation de plus de 350 000 Marocains, venant de toutes les régions du Maroc et représentant toutes les couleurs politiques nationales. Par ailleurs, l'on pourrait ajouter que cette approche inclusive a été également incarnée dans le processus d'élaboration de l'Initiative marocaine pour la négociation d'un statut d'autonomie de la région du Sahara. Cette Initiative a été élaborée suivant une méthodologie basée sur la concertation et la consultation avec toutes les formations politiques nationales en raison de leur rôle fondamental dans les grandes questions nationales. Le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies (ONU) ainsi que les grandes puissances ont favorablement accueilli cette Initiative qu'elles ont qualifiée de «sérieuse et crédible». En réalité, cette Initiative n'aurait pas pu avoir un tel retentissement sur le plan international si elle n'avait pas été au préalable appuyée sur le plan interne par les acteurs politiques nationaux. En ce sens, rappelons que, pour l'élaboration de cette Initiative, le Roi Mohammed VI a réactivé, le 25 mars 2006, le Conseil Royal Consultatif pour les Affaires Sahariennes (CORCAS), afin qu'il participe, à travers des propositions constructives, à la réalisation de ce projet. Composé des notables et d'élus, le CORCAS a joué un rôle non négligeable dans la conception de ce projet. Cette institution participe «(…) d'un jalon essentiel pour ancrer la culture de la concertation et permettre ainsi aux citoyens d'apporter, par des propositions concrètes et pratiques, leur contribution à toutes les questions ayant trait à l'intégrité territoriale et au développement économique, social et culturel des provinces du Sud». Ainsi, le Roi Mohammed VI a annoncé, lors de son discours du 25 mars 2006, que le CORCAS «(…) pourra contribuer, aux côtés des pouvoirs publics et des institutions élues, à défendre la marocanité du Sahara et se faire l'écho des aspirations légitimes de Nos chers citoyens». Il a également appelé les Sahraouis à « (…) engager une réflexion sereine et approfondie, et voir comment ils conçoivent le projet d'autonomie dans le cadre de la souveraineté du Royaume, de son unité nationale et de son intégrité territoriale ». Qui plus est, le CORCAS joue un rôle important dans la projection internationale de l'unité nationale autour de la question du Sahara. Ainsi, d'après l'agence Maghreb Arabe Presse (MAP), en date du 12 septembre 2011, «Une délégation du Conseil Royal Consultatif des Affaires sahariennes (CORCAS) participe, du 12 au 30 septembre [2011] à Genève, à la 18ème session du Conseil des droits de l'Homme (CDH) de l'ONU». Notons, d'après la même source, que «(…) cette délégation aura une nouvelle occasion, à l'instar des sessions précédentes, d'exposer et de défendre devant le CDH les divers axes concernant le conflit du Sahara marocain (…)». Cette unité nationale autour de la question du Sahara occidental constitue ainsi un facteur fondamental ayant permis au Maroc de renforcer sa position sur le plan international quant à la défense de la marocanité du Sahara. Ce soutien interne est d'autant plus palpable dans le processus négociatoire en cours entre le Maroc et le Front Polisario sous l'égide de l'ONU. Ainsi, le ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération, Taïb Fassi Fihri, a déclaré, le 19 juillet 2011, à l'issue de la 8ème session des pourparlers informels avec le Front Polisario tenus à Manhasset, dans la banlieue de New York, que le Maroc, «Fort de l'unité de son front intérieur autour de la question du Sahara, et de la légitimité et de la justesse de sa cause (…)», défendra inlassablement son intégrité territoriale sur le plan international. Consciente de l'enjeu stratégique qu'implique une mobilisation nationale au sujet de la question du Sahara sur l'avenir de ce dossier, la diplomatie marocaine tend à projeter cette unité sur le plan international en vue d'affermir la légitimité des revendications marocaines. Cette projection n'est pas uniquement l'apanage de la diplomatie officielle. Ainsi, la diplomatie parlementaire marocaine, qui, par définition, regroupe toutes les couleurs politiques nationales, tend à exprimer sur le plan international l'unanimité de tous les partis marocains au sujet du différend saharien, quelle que soit leur ligne idéologique ou leur orientation doctrinale. A côté de cela s'ajoute le rôle de la société civile marocaine qui s'emploie, à travers un vaste réseau d'associations et d'Organisations Non Gouvernementales (ONG) établies à l'intérieur et à l'extérieur du Maroc, à traduire sur le plan international l'unité des Marocains au sujet de la défense de l'intégrité territoriale du Royaume. Ainsi, il convient de rappeler le Mouvement Mondial pour le Soutien du Sahara Marocain dont la création «(…) intervient pour renforcer la diplomatie parallèle et intensifier l'implication de la société civile marocaine (…) [pour] la promotion de la proposition marocaine d'autonomie» sur le plan international. Cette vision traduit donc la stratégie des ONG nationales de défense de la marocanité du Sahara d'inscrire leur action sur le plan international, en tant que support à l'action diplomatique officielle marocaine. Parallèlement, au moment où l'unité nationale autour de la question saharienne se consolide et se projette sur le plan international, le Front Polisario s'effrite et l'hémorragie de défections ne cesse de gagner ses différentes structures politiques et militaires. En effet, conscients de l'irréalisme du projet indépendantiste, plusieurs sahraouis, y compris des cadres du Front Polisario, ont décidé de regagner leur mère patrie mettant ainsi fin à leur mésaventure séparatiste. Ce ralliement du Maroc par les marocains sahraouis séquestrés à Tindouf dément les thèses fallacieuses véhiculées par le Front séparatiste et son tuteur algérien, de l'existence d'une « unité nationale sahraouie » autour de l'entreprise indépendantiste. * Le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion et d'analyse basé à Rabat. Acteur actif du débat afférent à la conflictualité saharienne et à certaines thématiques nationales fondamentales, le CEI a publié, en 2010, auprès des éditions Karthala, un ouvrage collectif intitulé : «Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) ». En janvier 2011, le CEI a rendu public, auprès du même éditeur, un second ouvrage titré, «Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile ». Il vient également de faire paraître, auprès des éditions précitées, un ouvrage portant sur «Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies ». Outre ses revues, libellées, «Etudes Stratégiques sur le Sahara» et «La Lettre du Sud Marocain», le CEI compte à son actif plusieurs supports électroniques dont, www.arsom.org, www.saharadumaroc.net et www.polisario.eu. *Analyste au Centre d'Etudes Internationales