«En Afrique, quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle», aimait à dire l'écrivain malien Amadou Hamapâté Bâ (1901/1991). A une nuance près, au Maroc c'est un érudit qui vient de rendre l'âme: Prof Abdelhadi Tazi tire son ultime révérence, ce jeudi à l'âge de 94 ans, après une vie riche d'écrits, d'annotations, de recherches et de rebondissements. Difficile en fait de circonscrire la vie et encore moins l'œuvre de quelqu'un qui, comme Prof Tazi a très tôt fait du brouillage des frontières une ligne de conduite, un style de vie, un crédo. L'homme est d'une épaisseur telle qu'il échappe au classement, le personnage est si dense qu'il se joue de toute indexation. Tous ceux qui l'ont côtoyé ou connu de plus près garderont de lui l'image d'un homme d'une taille moyenne et constamment en costume-cravate. D'autres se rappelleront de ces yeux étincelants d'une intelligence impressionnante. Mais d'aucuns n'oublieront de sitôt la stature imposante de l'homme qui irradie d'une modestie hors du commun, combinée à la simplicité d'un enfant qui se refuse à grandir. C'est que derrière ce regard presque naïf, mais combien profond et pénétrant, se cachent l'avidité d'un chercheur, la curiosité d'un journaliste, la précision d'un historien, la rigueur d'un juriste, la finesse d'un diplomate, la dextérité d'un écrivain, bref...la grandeur d'un érudit. «Le fqih (érudit) est le titre qui me convient le mieux au vu de ma formation initiale à Fès et précisément à la Mosquée Al Qarawiyine dans son ancien cursus», a expliqué feu Tazi lui-même dans l'une de ses dernières interviews. Né le 15 juin 1921 à Fès dans une famille ayant, à la fois, servi auprès des Sultans Hassan Ier et Moulay Abdelaziz, et à l'origine de l'introduction au Maroc de la première imprimerie, «j'ai évolué dans un milieu où politique et culture font bon ménage», dira-t-il. Du haut de ses 90 ans, la mémoire toujours aussi vive, le défunt ne s'est jamais départi de ses origines ni comment il est entré, à l'âge de 9 ans après avoir appris par coeur le Coran, en différend avec son père qui le prédestinait pour une carrière à la Mosquée Al Qarawiyine. En diplomate né, le jeune Abdelhadi a opté pour une école moderne comme il l'entendait, mais sans jamais rompre avec la célèbre Mosquée «que je n'ai quitté qu'en période de prison» et d'où il obtiendra au grand bonheur de son père, en 1947, une licence (Aâlimiya), l'auréolant du titre de Aâlem (érudit), son titre préféré. Dans un Maroc sous Protectorat, le jeune Abdelhadi, à l'instar de nombre de ses semblables à l'époque, a fait la taule à deux reprises, à l'âge de 14 et 17 ans, en raison de leurs activités politiques et culturelles au moment où montait l'étoile du Mouvement national. Dans la foulée, un certain Ahmed Balafrej (un des fondateurs du Parti de l'Istiqlal) éveilla en le jeune homme l'intérêt pour la diplomatie, en l'assurant que la majorité des ambassadeurs du Maroc étaient, par le passé, des lauréats d'Al Qarawiyine.