« Ce n'est pas parce qu'on regarde beaucoup la télévision, qu'on la voit bien» L'un des rares rendez-vous politiques sur la deuxième chaine est l'émission de Jamaâ Goulahcen, Moubacharat Mâakoum «en direct avec vous», programmée, le mercredi soir. Quand je dis «un rare rendez-vous politique», le mot politique est à prendre au sens direct qui renvoie à une pratique publique de la gestion des affaires du pays, pratique légitimée par la volonté populaire ; la politique au sens politique du mot, en somme. Autrement, la politique, il ne faut pas être dupe, est omniprésente à la télévision comme média à fort impact social ; partout dans le monde, encore plus dans les pays dits de transition politique. La politique est là, en filigrane, distillant ses choix, dictant ses orientations de la météo à la nature des invités de n'importe quelle émission en passant par l'octroi des marchés... Mais c'est un autre sujet. Le débat télévisé est aujourd'hui une composante essentielle du flux télévisuel. Il constitue, avec le JT notamment, l'un des vecteurs de légitimation sociale pour un medium qui n'a jamais réussi à se forger une identité propre, spécifique ; pendant longtemps il était aberrant de parle « d'une esthétique télévisuelle ». Un medium cantonné dans sa fonction essentielle, celle de « tuyau », empruntant largement à des arts constitués historiquement, le théâtre et le cinéma pour se doter d'une carte culturelle et/artistique. Avec les émissions de débat, la télévision pouvait enfin prétendre disposer de genres qui lui sont propres. Avec raison. Le débat télévisé est devenu dans ce sens une figure du nouvel âge télévisuel. Il est devenu objet d'analyse, se constituant ainsi comme objet théorique convoquant les acquis des sciences humaines pour décrypter les signes qui le traversent, les enjeux qu'ils véhiculent. La première remarque qui s'impose alors, en abordant l'analyse d'un débat télévisé est que nous sommes en présence d'un double phénomène : langagier et audiovisuel. Pour l'analyste, il s'agit de saisir les mécanismes qui régissent la circulation de la parole et les formes de mise en image de cette parole plurielle et contradictoire. Le dispositif qui le porte est basé sur des éléments récurrents que l'on trouve illustrés par le cas de Moubacharat mâakoum : le dispositif scénique (le plateau, le décor), l'animateur, les invités et le public. Une structure duelle qui convoque deux niveaux d'analyse, langagière et audiovisuelle... pour aboutir à un schéma analytique global. Au Maroc, le débat télévisé est une conquête récente de notre paysage télévisuel. La télévision était née comme «la voix de son maître», en l'occurrence le pouvoir politique. Partie intégrante de ce qu'un théoricien avait appelé «les appareils idéologiques d'Etat». Force est de constater que la nôtre a réussi avec brio cette fonction/mission. Aujourd'hui, la télévision est à l'image de la société politique marocaine : on sort de l'ancien sans que le nouveau prenne complètement forme. L'émission de Goulahcen en est la plus éloquente illustration. Si le journaliste a gagné en expérience et en professionnalisme, son émission pâtit encore des limites qui sont celles mêmes du système. Son évolution en dents de scie reflétant le climat politique et les orientations en vogue. Mercredi dernier, il s'agissant d'aborder les dérives malsaines pour la démocratie que connaît le discours politique. En attendant d'appliquer à l'ensemble de l'émission une grille d'analyse d'inspiration sémiologique, il était frappant de relever qu'il y avait un hiatus entre la nature du thème proposé et l'identité des intervenants. Une erreur ( ?) de casting flagrante qui dénotait une volonté de biaiser le débat. Le thème se prêtait davantage à une approche de nature académique ; avec des spécialistes des sciences sociales. Cette dimension a été réduite à la catégorie de reportage pour laisser le champ à des montages d'images qui ne manquaient pas de cynisme et à des échanges sur le plateau entre des protagonistes qui ne bénéficient pas de la même légitimité. Les parlementaires sont restés cantonnés (c'est leur rôle) dans des attitudes partisanes, reproduisant les positions qui sont celles de leurs groupes respectifs. L'émission a réussi quand même, in fine, à reproduire elle-même, la crise du discours politique censée être analysée.