Les intellectuels arabes ne sont pas à l'origine des mouvements de changement qui secouent depuis l'année dernière le monde arabe, ont estimé des conférenciers lors d'un débat en marge du Salon International de l'Edition et du Livre (SIEL) à Casablanca. Réunis autour d'une table-ronde sur le thème “le culturel dans les mutations politiques et sociales dans le monde arabe'', les intervenants, notamment des écrivains et des poètes, ont souligné que les intellectuels devront aujourd'hui se racheter une bonne conscience en accompagnant au moins l'élan de liberté exprimé par les mouvements de revendication dans leur société, concédant que la réalité a pris le pas sur les démarches réflexives des intellectuels arabes. C'est d'ailleurs l'opinion de l'écrivain Libyen Mohamed Lasfar qui, tout en reconnaissant le fait que les intellectuels ont été surpris par ce mouvement de contestation sans précédent et que la culture ne peut pas enclencher la révolution, a affirmé que les intellectuels ont néanmoins aujourd'hui le devoir d'accompagner le mouvement et de faire en sorte qu'il ne dévie point de son objectif de changement. Pour cet écrivain qui a écrit un livre sur la révolution libyenne, sorti avant la chute du régime, les intellectuels libyens doivent jouer les gardiens de la révolution, saluant leur attitude pour n'avoir pas cautionné les exactions du régime en se joignant très tôt au camp des révolutionnaires pour défendre la liberté et la démocratie. Et de souligner que les intellectuels libyens ont le devoir aujourd'hui d'accompagner selon une démarche critique le mouvement de changement dans leurs pays après la chute du régime et ce, en contribuant à l'élaboration d'une nouvelle constitution qui garantisse les droits des Libyens et soit à la hauteur des sacrifices des révolutionnaires qui ont lutté au prix de leur vie pour la liberté. Beaucoup plus critique et sévère envers les intellectuels de son pays, le poète et chercheur Syrien, Noury Al Jerrah a fustigé l'attitude ambigí?e, voire complice, de certains parmi eux pour qui le mouvement de contestation dans leur pays ressemble à une sorte de désobéissance civile et sert plutôt un agenda étranger. Et d'appeler les intellectuels syriens à prendre une position courageuse en défendant la liberté et la démocratie et de ne pas rester trop longtemps prisonniers des hésitations et des peurs, soutenant que les aspirations de son peuple pour un Etat de Droit et la soif de liberté ne peuvent pas être ignorées au prétexte que ce mouvement de contestation sert un éventuel agenda étranger. De son côté, le romancier Libanais, Hassan Daoud, ironisant sur l'attitude des intellectuels arabes, a estimé qu'ils avaient perdu tout espoir pour un changement dans le monde arabe, plaidant pour une réelle liberté d'opinion et d'esprit, loin des appartenances partisanes et des considérations identitaires. «Les nocturnes du SIEL» Le Salon International de l'Edition et du Livre de Casablanca jouera les prolongations avec une manifestation intitulée ‘'les nocturnes du SIEL'' qui se tiendra du 11 au 18 février dans la capitale économique. Organisées dans le cadre de la saison culturelle France-Maroc, au Diwan de Bab El Bahr, installé pour la circonstance à place Sidi Bousmara dans l'ancienne Médina de Casablanca, ces rencontres sont organisées par le pôle livre de l'Institut français du Maroc avec la complicité des écrivains et artistes présents au SIEL. Cette manifestation culturelle se veut une plateforme pour converser avec de nombreux écrivains tels Fatéma Hal, Carole Martinez, Kaoutar Harchi, Laurence Cossé, Véronique Rieffel, Siham Bouhlal, Abdellatif Laâbi, Edwy Plene, Elias Sanbar, Farouk Mardam Bey et Stéphane Bern. Elle donnera aussi l'occasion de dialoguer avec quelques grands artistes au service de grands textes de la littérature tels Amal Ayouch, Charles Berling, Macha Méril, Touria Hadraoui, Majida Khattari, Tata Milouda et bien d'autres. ‘'Qu'est-ce que la liberté quand elle est à prendre ?'' (15 février-19h), une rencontre-dialogue, modérée par Souleiman Bencheikh, entre les penseurs occidentaux et acteurs de la société civile du Maghreb avec Zineb Belmqaddem (Maroc), Lina Ben Mhenni (Tunisie), Edouard Deruelle (Belgique), Omar Saghi (France) ainsi que le spectale ‘'Déshabillez-mots'' (13 février-20h30), conçu par Léonore Chaix et Flore Lurienne figurent parmi le programme de ces rencontres. Seront également présentés des spectacles inédits tels ‘'Tata Milouda û Vive la liberté'' (17 février à 20h30), un spectacle de Jean-Matthieu Fourt avec Milouda Chaqiq, slam-Mokrane et ‘'Islamania Spirit'' (16 février à 20h30), par Véronique Rieffel, Anissa Bouziane, Majida Khattari, Narjiss Najar en coproduction notamment avec l'Institut des cultures de l'Islam et l'IFC. Des soirées littéraires tels les ‘'balades gourmandes et chants d'amour'' en présence de Isabelle Bouchex, Kaoutar Harchi, Carole Martinez avec la lecture de Siham Boulhal et Abdellatif Laâbi et une illustration musicale de Touria Hadraoui figurent au menu de ces rencontres qui seront clôturées par un spectacle de Fantasia, le 18 février à 20h30. L'autobiographie : description ou prétention ? L'autobiographie, ce genre littéraire qui continue à éblouir lecteurs et critiques, est-il une description neutre de sa propre vie ou une prétention qui sert à dissimuler des frustrations et déceptions? Telle était la question qui a suscité l'intérêt d'un parterre hommes de lettres samedi lors d'une rencontre, organisée dans le cadre du 18ème Salon international de l'édition et du livre de Casablanca (SIEL 2012) sous le thème: “L'autobiographie ou l'art de transformer la vie en un roman”. Les autobiographies, qu'elles soient d'écrivains, d'artistes ou de stars de cinéma, peuvent être une consolation, une remémoration du passé, voire même une certaine manière de cacher des frustrations, dissimuler des déceptions et de fasciner les autres, selon le critique Charaf Eddine Majdouline. Ce jeu des mots/jus des maux, qu'est l'autobiographie, peut-être des images du passé, une trace du passé, une ville peinte, un cœur ouvert, un paradis se trouvant entre la patrie et l'exile, ou juste une entité en dehors de l'espace, estime M. Majdouline. L'autobiographie répond à une question qui s'avère évidente, voire même banale : qu'est-ce que j'ai appris de la vie? et peut-être une sorte de chirurgie esthétique visant à remodeler et relooker la vie de son auteur. Si certains auteurs ont qualifié l'autobiographie d'insolence ou de mensonge, le critique égyptien, Salah Fadl répond que l'état d'âme ou le monde de l'écrivain et ses capacités linguistiques sont de nature à dévoiler et démystifier ses secrets. La langue et la narration confèrent à l'autobiographie une touche esthétique qui la libère de sa dimension historique et lui assure une ascension au sommet de l'art. André Gide plaidait pour le roman symphonique dans sa symphonie pastorale, d'autres estiment que le roman ne peut mériter son appellation sans la dissociation du noyau social qui permet le multilinguisme, ainsi que la pluralité des voix et des voies. Le critique Abderrahim Tankoul pense, quant à lui, que l'autobiographie est un laboratoire qui fonctionne en permanence et n'accepte pas d'être classé. Pour sa part, le romancier Ahmed Madini n'a pas hésité à évoquer la généalogie de ce genre littéraire, allant de l'autobiographie de l'individu illustrée par Hayati (Ma vie) d'Ahmed Amine, à l'autobiographie réaliste comme Al Ayyam (les jours) de Taha Hussein. Quelle cherche à pérenniser la gloire à travers des confessions, l'imagination ou des mensonges, l'autobiographie a toujours été l'objet de questionnements et de critique fragmentaire. Et en sus, le passé, avec ses rêves, ses fantasmes et ses craintes mérite d'être écrit puisque l'Homme ne possède que le passé, comme le disait Ibn Arabi. Une ouverture sur un ton de méditation Le programme culturel du 18ème Salon international de l'édition et du livre (SIEL) s'est ouvert, vendredi à Casablanca, sur un ton de méditation au sujet de l'application participative de la nouvelle constitution. La nouvelle constitution, qui jette les bases d'une nouvelle forme étatique en harmonie avec les exigences de l'Etat moderne, aboutira, en cas d'une bonne application de ses dispositions, à un nouveau modèle de citoyenneté responsable, a indiqué l'écrivain journaliste Mohamed Larbi Messari, qui animait une conférence inaugurale intitulée “Vers une nouvelle culture de citoyenneté : méditations au sujet de l'application participative de la constitution”. M. Messari a souligné, lors de cette rencontre, l'importance de l'adhésion à une mise en œuvre collective de la loi fondamentale qui se veut l'un des chantiers traduisant le génie marocain. Cette loi a permis de concrétiser l'identité culturelle des Marocains, a-t-il dit, appelant à “transformer ses dispositions de simples convictions évidentes à des règles d'action institutionnalisées de nature à corriger les dysfonctionnements et à lier la responsabilité et la reddition des comptes”. Dans ce cadre, il a mis en exergue les facteurs qui pourraient contribuer à une application réussie de la nouvelle constitution, citant notamment la maturité politique des Marocains qui ont toujours prouvé leur capacité à encadrer efficacement la société, et les ententes politiques avec leur rôle majeur dans l'accélération des réformes. M. Messari a mis en garde contre un excès de pouvoir des instances de bonne gouvernance et la promulgation de textes réglementaires qui videront la constitution de sa substance, mettant l'accent sur la nécessité de se conformer aux orientations de SM le Roi qui avait appelé à favoriser l'interprétation démocratique lors de l'élaboration de ces textes. La 18ème édition du SIEL, axée sur le thème “un temps pour lire, un temps pour vivre”, est marquée par l'organisation de plusieurs conférences et tables rondes traitant notamment des mutations politiques dans le monde arabe, de l'écriture féminine arabe et de l'avenir de la culture arabe. L'Arabie Saoudite est l'invitée d'honneur de cette manifestation culturelle, qui se tient jusqu'au 19 février avec la participation de 44 pays et de 706 éditeurs.