Camus Né le 7 novembre 1913 à Mondovi, tuberculeux à l'âge de 17 ans, Albert Camus demeure l'une des traces les plus marquantes de l'histoire de la littérature, de la philosophie et de la politique de toute l'humanité. Il s'agit là, en fait, d'un homme qui pense comme Montaigne et écrit comme Pascal. Sa vision, en effet, trace son cheminement par le biais d'une écriture blanche et engagée car, avec sa littérature, il a pu très bien illustrer la réalité de son époque, l'absurde et son dépassement tel qu'il se brasse dans ses chef- d'œuvres, notamment L'Etranger, Le Mythe de Sisyphe, La Chute, L'homme révolté et bien d'autres textes et ouvrages. Dans ce cadre, le philosophe français d'origine polonaise, Alain Finkielkraut, a dit à son propos : «Camus est l'un des très rares penseurs du XXe siècle qui ait posé des limites à l'empire de l'histoire, c'est-à-dire l'homme. Au contraire des grandes philosophies du sujet ou celles de la structure, il a donné une place essentielle à l'autre que l'homme dans le monde des hommes.» Ipso facto, Camus a été cet homme qui a toujours affirmé que son paradis est ce monde-ci et ce vécu-là. Son but est, évidemment, de prouver à l'Homme contemporain que la vie vaut la peine d'être vécue à condition de lui conférer une finalité et une signification. Ainsi, c'est dans un contexte marqué par la guerre, les conflits idéologiques, l'émergence de nouveaux courants et systèmes de pensées que cette conscience malheureuse, qui a dominé le monde à un moment donné de l'histoire, a fait émerger ce mal d'esprit : l'absurde. Ce dernier était un véritable point de démarrage pour la pensée camusienne. Alors, pour lui, le concept de l'absurde, l'étrangeté tragique de l'existence humaine ou encore ce nihilisme se manifestent, très clairement, dans ce rapport qui existe entre la recherche assoiffée de l'homme d'une part et l'indifférence du monde d'autre part. A vrai dire, en cette époque (entre les deux guerres mondiales), l'esprit était, bien entendu, tragique, car selon Camus, «ce monde en lui-même n'est pas raisonnable, c'est tout ce qu'on peut en dire. Mais ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme». Bref, «l'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde». Pour aller plus loin, interrogeons, actuellement, l'homme des temps modernes ! Grande question philosophique qui se pose, notamment avec l'évolution des nouvelles technologies. A vrai dire, interrogeons l'étant qui a réduit l'essence humaine à un chiffre manipulé par les machines. Effectivement, c'est un questionnement du destin de l'être humain face à une bête. Finkielkraut le résume dans une expression: L'être-pour-l'écran. D'ici là, qui est capable de méditer la nature, jouir de la beauté de l'art et de la philosophie ? Question sérieuse, notamment face à la dominance de l'étant et de valeurs matérielles. L'homme, dans cette perspective, est jeté dans les dédales des fausses lumières de la modernité liquide. Une modernité qui verne toutes valeurs régressives. Dans cette errance, la quête du sens à l'existence est considérée comme principe fondamental pour sauver la vie. Dès lors, Camus, estime «qu'il n'y a pas d'autres raisons que l'homme, et c'est celui-ci qu'il faut sauver si l'on veut sauver l'idée de la vie.» Que faire pour sauver l'homme et l'idée de la vie, surtout dans un monde indifférent, étranger, irrationnel, un monde ivre vénérant la violence, un monde qui néglige l'homme de plus en plus ? Comment sauver cet humain enlisé dans les illusions de la « modernité» ? Pour ce faire, le philosophe allemand Nietzsche invite, à travers son surhomme, l'homme des temps modernes à apprendre cette philosophie de dépassement des valeurs nihilistes. Dans ce cadre, son mot était profond : « Le surhomme est celui qui met l'infini puissance de la volonté au service de la vie, pour un infini dépassement (et non plus anéantissement) de la vie par elle-même. C'est cet engagement au côté de la vie que Nietzsche annoncera comme temps de « Grande Politique». Politique de siècles à venir, d'une autre histoire de l'humanité ouverte par le dépassement des valeurs nihilistes et dont le nouveau calendrier commencera avec la transvaluation de toutes les valeurs ». Par ailleurs, si Nietzche nous propose la grande politique comme solution salvatrice des angoisses des temps modernes, Camus fait appel à la révolte, à la volonté de passer la solitude de l'être humain dans sa confrontation avec l'absurde. Une invitation à la solidarité dans le sens de dépasser l'étrangeté et l'absurdité qui habitent les consciences malheureuses afin de réaliser le bonheur collectif des êtres humains. C'est clair dès à présent que l'objectif avoué de Camus est de sortir du nihilisme auquel conduit la découverte de l'absurde. Son ambition est de permettre à l'homme de vivre et d'être heureux dans ce monde. Pour lui, «on ne peut être ni l'un ni l'autre en poussant l'absurde dans toutes ses conséquences». Au terme de ses recherches, il est convaincu d'avoir trouvé en la révolte une issue à l'absurdité de la condition humaine. Aux termes de cette pensée humaniste universelle, il est tout aussi légitime de dire qu'Albert Camus (dont la pensée est prolixe) échappe à toute classification. Il s'agit d'un romancier, dramaturge et philosophe qui écrit pour le devenir de la condition humaine. Tel demeure le rôle de l'intellectuel : de faire sa voix de refus et de contestation contre le malheur qu'a connu l'homme à travers les siècles. Sa voix partagée entre littérature et philosophie continue d'être présente dans le paysage culturel universel car, comme le dit à juste titre Alain Finkielkraut : « Camus est mort alors même qu'il naissait, littérairement, à une vie nouvelle.»