Abdelatif Zine, artiste plasticien Dans son bureau, entouré d'une collection d'œuvres d'arts, l'artiste plasticien, également président fondateur du Syndicat marocain des artistes plasticiens professionnels, fondateur de l'Union des syndicats des artistes marocains et Président de l'Association nationale des arts plastiques (ANAP), Abdelatif Zine nous a livré, à cœur ouvert, son point de vue sur les grands enjeux et problématiques touchants actuellement le marché de l'art marocain. Al Bayane : Pourquoi la famille des artistes plasticiens marocains est-elle toujours divisée ? Abdelatif Zine : Il est vrai que les artistes ont généralement de fortes personnalités et des egos qui ne vont pas de pair... Les divergences d'opinions sont donc inévitables. Nous avons d'une part les désaccords, parfois délicats, parfois frivoles, en tous cas dépourvu d'hostilité, et d'autre part, de réelles inimitiés... Parce qu'il est difficile de rester de marbre face à un imbroglio d'opportunistes et de bonimenteurs qui perturbent et salissent le marché de l'art. Aujourd'hui, il est essentiel de s'interroger sur la légitimité de certains artistes et intervenants de la scène culturelle marocaine. Le danger devient très concret lorsqu'on s'amuse à réécrire l'Histoire de l'art marocain à son avantage, en détruisant au passage le fruit du travail d'autres artistes... L'idéal serait que certaines jalousies ou vieilles rancœurs se dispersent pour laisser place à une entente cordiale et, j'insiste là-dessus, un seul et même intérêt commun. Quel regard portez-vous sur la situation des arts plastiques au Maroc ? Un regard bienveillant mais inquiet. D'un côté de bonnes initiatives sont prises. Récemment, nous avons organisé toute une série d'évènements artistiques et culturels tels que la 4e édition «Fadae Ennas» à Marrakech où 50 tableaux ont été réalisés en trois jours par 50 artistes dont 39 marocains et 11 étrangers venus des quatre coins du monde. Il faut mentionner aussi, le 2e salon national d'art contemporain où 130 artistes marocains ont exposé durant 1 mois au forum de la culture (ex-cathédrale Sacré-Cœur). Mais de l'autre côté, les artistes marocains se laissent parasiter par l'iconologie occidentale ou locale. Le mimétisme de l'art occidental prolifère et le plagiat est omniprésent. Le marché est en plein essor et parallèlement la créativité tourne en rond. Qui fera l'Histoire de l'art marocain et mondial de demain ? Qui laissera une empreinte manifeste dans le patrimoine culturel national ? Et ce qui est étonnant dans tout ça, c'est que certains artistes se trouvent dans de grandes galeries. Bien qu'ils font les mêmes gribouillages depuis 60 ans, ils s'autoproclament créateurs et artistes. Moi je les appelle des artisans de l'art. Malheureusement ils bloquent les vrais talents qui se trouvent à travers tout le Maroc, même dans les régions les plus éloignées des grandes villes. Il y aussi cet engouement infatigable pour l'art abstrait. Cette technique picturale doit, normalement passer par une succession d'étapes de création et de recherches, alors que malheureusement ici, on présente pas à l'étranger des artistes de renom, alors qu'ils n'ont fait que plagier habilement les écoles abstraites. Et surtout que les collectivités locales ne jouent pas leur rôle dans le développement humain et l'éducation des citoyens. A votre avis, existe-t-il un règlement pour la vente aux enchères au Maroc ? Non. A l'heure actuelle, il n'y a aucun texte ou règlement qui régit ce secteur. Les beaux-arts c'est une notion vaste... Le marché de l'art au Maroc souffre d'un no man's land juridique. Pourtant, dans tout marché, il est nécessaire d'avoir des articles de lois clairs et précis comme garde-fou, ne serait-ce que pour dissuader les fraudeurs. En attendant, nous avons pensé à créer une association qui sera composée d'experts judiciaires, d'ayants droit des artistes défunts, d'artistes professionnels et de personnalités ayant côtoyé les grands artistes qui ont enrichi le patrimoine artistique national. C'est une association qui aura pour mission d'assurer la préservation de l'héritage artistique national contre des gens qui oublient toute éthique pour conclure une vente. Je constate que jusqu'à maintenant, la maison Choukri est la seule qui respecte les normes et fait les choses en bonne et due forme. Les amateurs d'art ne sont pas des pigeons prêts à être plumés. Il y a des étapes à respecter avant de proposer une œuvre à la vente. Il faut faire des ventes à huissier et une expertise de tout objet mis à la vente. La cohésion entre intervenants du marché et le sérieux sont essentiels, tout en préservant 3% des ventes dans les salles pour les artistes et ayants droit. Croyez-vous qu'il y ait des procédures pour combattre le phénomène des copies d'œuvres d'art ? Pour combattre ce phénomène, on doit créer d'avantage d'associations ou fédérer celles qui existent déjà. Il y a beaucoup à faire comme charger les experts judiciaires compétents ou logiquement accorder plus d'importance au savoir et aux témoignages d'artistes encore à même d'authentifier les œuvres de leurs pairs décédés. Il faut une bonne gestion des lois pour la vente des œuvres, notamment faire cesser les dérives relatives à l'endogamie ostensible entre responsables de maisons de vente et certains artistes dont les cotes flambent soudainement. Il faut mettre un terme aussi aux experts qui valident le faux et ternissent l'image de l'expertise au Maroc. Tous ces agissements nous poussent à vouloir créer une association marocaine d'experts, dont les membres devront justifier d'une expérience significative. D'ailleurs, je conseillerai aux artistes de se constituer un «catalogue raisonné», c'est-à-dire de photographier et de répertorier leurs œuvres de manière exhaustive, afin d'éviter les mauvaises surprises plus tard. Concernant les ayants droit, à qui on amène des tableaux à authentifier et qui se révèlent être de simples faux, je leur recommande fortement de détruire l'objet après avoir fait appel à la justice. Quelle est votre vision d'un Musée «National» ? C'est un musée qui appartient à tous les Marocains et qui a pour but de représenter l'unicité de leur identité culturelle. Il serait intéressant de poser la question aux Marocains de tous milieux sociaux, quel est leur artiste plasticien préféré. Les œuvres exposées dans un Musée se doit d'incarner la mémoire collective de notre création artistique. A mon humble avis, ce musée ne répondra aux aspirations de l'artiste marocain que si l'on prend des dispositions cohérentes. Nous avons donc fait part de nos préoccupations dans un courrier à l'attention du Président et aussi au ministre de la Culture pour attirer l'attention sur plusieurs points importants. Tout musée digne de ce nom dispose d'une commission d'acquisition constituée de membres qualifiés (critiques d'art, commissaires d'exposition, conservateurs, artistes, collectionneurs, critiques et historiens de l'art, qui sont nommées en raison de leur compétence. Les membres sont nommés par le ministre de la Culture et celui de la Communication pour un mandat de tant d'années, sur proposition d'un autre comité de création artistique. Ces professionnels s'assureront du respect de l'orientation du musée. Ensuite, il faut que la médiation culturelle soit efficace et étudiée. Je suis tout de même surpris que nous n'ayons toujours pas été contactés, consultés ou sollicités pour faire partie de cette commission, en tant qu'institutions syndicale et associative qui ont milite justement, depuis une trentaine d'années, pour la création de musées de cette envergure. Albert Camus disait : «si le monde était clair, l'art ne serait pas». Que pensez-vous de cette citation ? Comme toutes les périodes de l'histoire, on trouve une grandeur et une décadence. Certes le monde vit actuellement une période de crise de sens, mais c'est à l'art de corriger ces erreurs, ces errements, préserver son héritage et garder sa stabilité. car l'art et la culture sont l'essence et la genèse du développement humain.