ou creuset de frustrations?» Le thème de la table-ronde «Casablanca, espace de vie et d'espérance ou creuset de frustrations ?» interpelle sur les plans philosophique, social, économique et politique. De quelle espérance s'agira-t-il de débattre ? Ce point appelle une clarification. Paraphrasant le poète et écrivain Mourad Khireddine, il est utile de remarquer que : « Il y a deux espoirs, celui des faibles et des imbéciles qui promet monts et merveilles, et l'autre espoir, le seul, le dur, le vrai, le réalisable, celui qui promet une réalité presque égale à elle-même et incite l'homme à brasser la rocaille...». Lorsque les espérances, les traductions opérationnelles de l'espoir sont mises en délibération, il s'agit d'identifier les espérances justes à retenir pour construire le destin collectif. Ce sont ces espérances là qu'il faut parer de légitimité et, du point de vue politique, poser comme référence pour canaliser l'exubérance de la vie urbaine. Ces espérances légitimes nous invitent à nous accrocher au vivre ensemble, à agir dans le présent pour préparer celui des générations futures. Ces espérances sont celles qui nous invitent à poser la justice comme norme du vivre ensemble, comme condition sine qua non du principe de la vie en ville et de toutes les transactions sociales que le vécu urbain nécessite et justifie. Les espérances légitimes sont des ambitions collectives où les ambitions individuelles sont invitées à se frayer un chemin, en trouvant le juste équilibre entre le service de l'intérêt collectif et de l'intérêt individuel. Du point de vue économique et social, le cœur du débat sera là. Quels sont les ressorts de l'espérance ? Prolonger et magnifier le présent ? Accumuler de la sécurité, puis de la puissance jusqu'à l'absurde ? Par exemple, en veillant à renforcer le patrimoine des familles déjà nanties et la propriété économique et financière déjà fortement ancrée dans la ville? Chercher à renforcer le poids économique et financier de la ville dans le pays? Casablanca est, certes, amenée, comme territoire, à se mettre en concurrence avec d'autres villes et régions. Mais, Casablanca est, aussi, une ville marquée par une vive compétition interindividuelle. Elle est aussi objet d'une concurrence, plus ou moins explicite, entre plusieurs groupes sociaux. Ces groupes sont le produit d'une dynamique économique et sociale, très active, héritée, à la fois de la période coloniale et de la période d'indépendance du pays. Elle met en scène des individualités, mais surtout des coalitions et des alliances formées par affinités sélectives, selon l'origine ethnique, urbaine, culturelle et selon une foultitude de traditions sociales et de hasards, dont celui d'être déjà nanti n'est pas le moindre. Ce n'est pas une règle intangible, mais les relations matrimoniales participent à consolider la distribution du patrimoine. Faut-il espérer apaiser cette compétition ? Faut-il envisager l'instauration de règles de partage de l'espace foncier et du produit du travail collectif qui, respectivement, assurent un socle minimum de droits communs et un juste partage des résultats des efforts fournis? Comment organiser, alors, cette concurrence inter-casablancais sur les ressources de la ville, celles non échangeables et relativement inélastiques que sont les ressources foncières (l'espace), et celles échangeables et reproductibles qui dépendent du stock de capital et du stock et de la qualité de la force de travail mobilisable dans la ville ? C'est la légitimité de cette ambition, celle d'une ville dynamique et pacifique, qu'il s'agit aujourd'hui de construire en lui donnant des chances de réalisation. Ce projet de haute moralité n'est pas gagné d'avance. Le partage équitable des ressources foncières, de l'espace, sera perturbé par la croissance de la population, l'encombrement urbain. Le partage de la production de richesses sera hypothéqué par la rareté relative des ressources. Casablanca, la ville prise dans son ensemble, demande toujours au moins autant que ce qu'elle peut offrir. Sa qualité de vie dépend de sa capacité d'offre et aussi de sa capacité d'importer. Le volume des flux de biens, de services et d'information en provenance des autres territoires, nationaux et/ou étrangers est conditionné par les termes de ces échanges, de la manière dont la ville sera capable de valoriser sa propre production. La rareté relative des ressources fait qu'au sein de la ville la concurrence restera la règle de vie. Mais, la ville en tant que territoire devra choisir ses métiers, faire évoluer ses spécificités et chercher pour son futur son potentiel et son génie créateur. Cette compétitivité externe est une des conditions du mieux être interne. Sa recherche passe par la préparation des générations futures. Cette préparation implique une orientation des personnes et des institutions, autrement dit une stratégie volontariste d'éducation et de formation, mais aussi une adaptation progressive du cadre urbain et du cadre de vie pour accueillir et assurer le développement des activités qui assureront l'amélioration des termes de l'échange de la ville. En un mot, améliorer les termes de l'échange, c'est produire et exporter des biens et de services dont la valeur augmente ou ne diminue pas et importer des biens dont la valeur est en diminution. Envisager l'amélioration du cadre de vie et la préparation du cadre de la production pour le futur revient à envisager le cadre urbain au regard des besoins des générations futures. Que feront les jeunes de Casablanca de la génération née en 2013? Combien poursuivront leurs études universitaires, à Casablanca ou ailleurs? Combien auront été tôt déscolarisés? Ceux qui chercheront des emplois, qu'ils aient ou non achevé leurs études universitaires trouveront-ils dans la ville une qualité du travail qui les y retiendra? Combien seront-ils? L'âge de mariage va-t-il continuer son ascension ? Que sera le comportement de la natalité? Le poids de la famille nucléaire continuera-t-il à augmenter? Ou bien à l'instar des pays développés, le pourcentage des ménages sans couple et monoparentaux vat-il augmenter? L'espérance de vie des citoyens allant probablement continuer d'augmenter, quelle place les personnes âgées occuperont-elles dans la ville? Comment seront-elles hébergées, avec leurs descendants ou seules? Quelle place dans l'urbanisme et l'architecture aura été accordée à la jeunesse? Combien de jeunes auront déjà bénéficié d'une chambre personnelle? Combien auront pratiqué du sport dans un club, sans être contraints de jouer dans les rues et les terrains vagues? Derrière ces questions, se posent d'autres relatives au profil de la mixité sociale dans les différents quartiers de Casablanca. Quelles proportions des différentes catégories socioprofessionnelles s'y retrouveront ? Que produiront comme potentiel humain (capacités cognitives, esprit d'entreprise et diverses formes d'excellence dans la création culturelle) les barres de logement social implantées ces dernières années dans les périphéries casablancaises? Quel futur nous annonce le présent actuel ? Les élites futures seront-elles la copie conforme des élites actuelles? Quels changements faut-il anticiper dans les conditions actuelles de production et de répartition des richesses? Comment sera redistribué le patrimoine économique, les actifs fonciers et le portefeuille financier, entre le secteur public, central et local, et le secteur privé, et à l'intérieur du secteur privé, entre les différentes catégories sociales? Quelle sera la marge de manœuvre donnée aux acteurs publics de la ville pour orienter sa croissance, sélectionner les projets d'investissement et préparer son futur? Quelle part sera donnée aux investissements et aux activités qui répondent aux besoins locaux des citoyens et ouvrent la voie à l'excellence selon les capacités effectives et à une offre de services fondamentaux selon les besoins du plus grand nombre? Comment seront satisfaits les besoins servis par les infrastructures de réseaux (énergie, eau et assainissement, télécommunication, transport individuel et transport collectif ? Quelle place sera faite aux PME et aux TPE dans ces activités, aux côté des grandes entreprises publiques et des entreprises privés multinationales ? Comment seront structurés et financés les réseaux d'offre de services en matière de santé, de sport et loisirs, d'éducation et formation, de création culturelle? Comment seront gérées et surveillées les normes de qualité de ces offres de services aux personnes et en matière d'infrastructures de réseaux ? Quels types de zones d'activités économiques faut-il développer? Comment articuler logement et travail pour la grande majorité? Comment articuler transports collectifs et transports individuels? Quel système de sécurité sociale et de protection sociale envisager pour la génération future? Réfléchir au Casablanca de la génération née en 2013 invite à adopter une approche prospective pour analyser la stratégie de développement urbain actuelle de la ville. Le site de Casa mémoire indique que le premier plan d'aménagement de l'urbaniste a été présenté en 1915. Le Casablanca moderne aura cent ans dans deux ans. Quelles leçons retenir du centenaire qui s'achève et quelles orientations proposer pour le futur centenaire de la ville ? La première leçon concernerait la gestion de l'espace et la préparation de la croissance future de la ville, élaborée dans les premiers plans. La deuxième leçon porterait sur la traduction spatiale du dualisme social généré par le système colonial. Le zonage de la ville coloniale a articulé quartiers populaires (musulmans) et quartiers européens. Dans quel sens cette articulation a-t-elle évolué, avec la formidable extension de la ville depuis 60 ans? Comment a-t-elle pris en compte le problème des déplacements et de l'habitat ouvrier? Dans le Grand Casablanca, un essai de mise en place de sous-ensembles de la ville socialement et économiquement cohérents semble avoir été tenté. Dans quelle mesure cette tentative a-t-elle réussi ? Enfin, l'expérience de Casablanca est porteuse de leçons pour les autres villes du Maroc. Un code de l'urbanisme est en gestation, après avoir été présenté sous forme de projet de loi en 2007. Son adoption tarde encore, plus de cinq années après son dépôt au SGG (voir http://www.sgg.gov.ma/Projet_loi_30.07_Fr.pdf). Ses dispositions relatives au schéma directeur d'agglomération et au plan d'aménagement méritent d'être interrogées. L'ensemble des questions posées d'un point de vue prospectif concernent l'interprétation à donner pour la mise en œuvre des principes contenus dans deux articles du projet de code d'urbanisme : l'article 5 sur la mixité fonctionnelle et sociale et l'article 6 sur le développement durable. L'article 5 dit : « La mixité fonctionnelle et sociale doit se traduire dans les documents d'urbanisme et les opérations d'aménagement, notamment, par une répartition équilibrée et mesurée des différentes fonctions urbaines à l'intérieur d'une agglomération, tenant compte des facteurs sociaux et économiques. » L'article 6 énonce que les stratégies de développement urbain doivent respecter les critères du développement durable, notamment l'équité foncière et la solidarité. La contribution des partis politiques, et en particulier du PPS, dans la mise à plat et l'expression concrète et pratique de ces principes est incontournable. Pour que le PPS puisse faire face à cette mission, il doit pouvoir agir en tant qu'outil de communication et de concertation entre les parties prenantes : se mettre à l'écoute des citoyens pour synthétiser et interpréter l'expérience des décennies passées, susciter des scénarios et des propositions pour le futur et se faire le porteur d'un projet de vivre-ensemble, c'est à dire établir des règles pour que la compétition sociale puisse s'exercer dans un cadre garantissant équité et solidarité. * Economiste chercheur