Le débat sur la réforme des retraites au Maroc n'est pas nouveau. Ni le rapport du cabinet Actuaria, remis en 2010, ni la décision prises par Driss Jettou en 2003, n'ont changé grand-chose à la situation des Caisses. Jusqu'ici, le sort de la réforme, dont il est question depuis dix ans, reste entre les mains des experts de la fameuse Commission technique. Même au niveau de la commission nationale, qui regroupe les partenaires sociaux, le débat semble biaisé. On déplore l'opacité qui entoure cette réforme. L'opinion publique, les retraités et les salariés ignorent les dimensions que prendra le modèle social marocain. La réunion des cadres du PPS, samedi 2 mars 2013 à Casablanca, a tenté d'examiner les tenants et aboutissants de la réforme annoncée par l'actuel gouvernement. Ce fut aussi une occasion, pour les experts invités à cette rencontre, de livrer quelques réflexions sur les points essentiels qui paraissent devoir être pris en ligne de compte pour l'avenir des retraites au Maroc. Le panel, composé de Mme. Amal Maâmeri, expert, membre du Secrétariat national de l'UMT, Mohamed Chiguer, professeur universitaire, Abdellatif Idmahamma, directeur de cabinet du ministre de l'Emploi et de la formation professionnel, et Ahmed Azirar, professeur universitaire, a réussi, en effet, à rendre utile le débat sur une question qui concerne tous les Marocains. Dans un échange cohérent, le débat modéré par M. Azirar, a permis de mettre en perspective le profil de la réforme du «système» de retraite au Maroc et de souligner les faiblesses et surtout l'iniquité de certains régimes. D'abord, on retiendra ceci : en l'état actuel, les caisses de retraites (CNSS, CMR, RCAR et CIMR) ne sont pas viables à long terme pour des raisons de plus en plus évidentes : on compte plus de pensionnés que de travailleurs actifs. Le ratio actif/ retraités, sur une tendance baissière depuis des lustres, frôle l'insoutenable. C'est la CMR (Caisse marocaine des retraites), «victime» de la «générosité» de son régime, mais aussi de la faible contribution de l'Etat employeur, qui risque, à très brève échéance, de piocher dans ses réserves techniques pour honorer ses engagements. M. Chiguer, fin observateur de la question des caisses de retraite au Maroc, fait un constat extrêmement frappant : les adhésions sont en baisse, alors que les dépenses sont en hausse alarmante, par conséquent les excédents sont en net repli. Sur le taux de remplacement, M. Chiguer a notamment relevé l'incohérence des régimes : 45% du salaire au niveau de la CNSS (qui fixe le plafond à 6.000 DH et un nombre de jours travaillés égal ou supérieur à 3.240 jours de cotisations) contre 85% du salaire pour les adhérents à la CMR. «Le problème des retraites, à la différence des expériences étrangères, est, à proprement parler, une spécificité marocaine». Il faut creuser en profondeur pour s'expliquer le malaise des Caisses marocaines : la prédominance de l'informel, la faible création de l'emploi et la délinquance sociale, c'est-à-dire la non déclaration des salariés par les entreprises dites structurées auprès de la CNSS. Il y a aussi les erreurs du passé : la Banque mondiale préconisait la réduction de la masse salariale de la fonction publique, qui devrait être au-dessous de 10% du PIB. Or, malgré l'opération DVD (Départs volontaires), qui a coûté à l'Etat pas moins de 8 milliards DH, la masse salariale est restée aux alentours de 13-14% du PIB, car «on a oublié d'agir sur le PIB», dira M. Chiguer. A aujourd'hui, on n'a pas réussi à mettre en place «les conditions d'une croissance économique inclusive». Le problème, souligne M. Chiguer, est celui de l'emploi. Or, le premier créateur d'emplois au Maroc, c'est l'agriculture, dont la contribution au PIB, en termes de valeur ajoutée, est très faible. Au fait, la couverture sociale ne touche finalement que 27% de la population active. Dans l'informel, on recense plus de 2,5 millions de personnes. La problématique, expliquait-on, n'est pas seulement celle des retraités, mais aussi celle de la couverture sociale. L'autre facteur de fragilité des Caisses est d'ordre démographique: la pyramide des âges s'est inversée et commence à compter autant de vieux que de jeunes. Le vieillissement de la population marocaine est devenu une donnée réelle (d'après les chiffres du HCP). Quel projet de société d'ici 2030 ? Où allons-nous et que voulons-nous ? Quel projet de société d'ici 2030 ? s'interroge Mme. Amal Maâmeri. Comment pouvait-on imaginer, un seul instant, un désengagement de l'Etat, isoler les dettes des caisses de retraite des comptes publics pour maquiller les finances publiques ? Pour cette syndicaliste, les recettes du FMI, qui sont d'ordre purement financier, ne cadrent pas avec les attentes des citoyens. Après avoir mis en évidence les faiblesses du régime par répartition et les limites du régime par capitalisation, Mme. Maâmeri se demande : faut-il alors aller vers le «Big Bang» ? « Pas question. C'est une aventure, une quête vers l'inconnu. Qui va payer le ticket de cette transition, évalué à 517 milliards DH d'engagements de la CMR ? Si consensus il y a sur le diagnostic, la réforme «clé en mains», telle qu'elle est proposée par le Cabinet Actuaria, n'a cependant pas requis l'approbation des partenaires sociaux. Au lieu du «Big Bang» on ira vers le BRU (Régime de base unifié). L'UMT propose le maintien des deux pôles (un pour le secteur public - CMR et RCAR - et l'autre pour le secteur privé -CNSS et CIMR-), tout en poursuivant une réforme progressive des paramètres de chaque caisse (allongement de l'âge de départ à la retraite, augmentation des cotisations, et réduction du taux de remplacement). Lutte contre la délinquance sociale L'autre volet non moins déterminant de cette «période de turbulences», c'est la mauvaise «gouvernance de l'Etat», en l'occurrence l'absence de contrôle financier des caisses, laisse entendre M. Idmahamma. Maintenant, la réforme ne doit pas apporter des petites retouches à quelques aspects techniques. Il s'agit, à vrai dire, d'une refonte, d'une remise à plat du modèle social. Dix après le démarrage de la réflexion, il est temps aujourd'hui de passer à l'action, tout en prenant les mesures et les précautions nécessaires pour assurer une solidarité intergénérationnelle», a-t-il indiqué. Idmahamma a révélé que le ministère de l'Emploi s'apprête à mener une lutte sans merci contre la délinquance sociale. Mme. Maâmeri a confessé qu'on n'est pas dans un modèle social «Bismarkien», de type «socialisant» assurant une couverture universelle à tous les citoyens. Le modèle marocain, bien qu'hérité du protectorat français, n'a pas connu une «réforme d'ampleur». Pas de type «Beverdgien» (du Lord Beveridge) qui a construit le modèle «libéral», en assurant un revenu minimum et l'accès à des services sociaux de qualité (santé, éducation...), en laissant une grande place à l'épargne individuelle. Maintenant, si en haut lieu, le constat est partagé sur les données financières, la nécessité d'une réforme et les éléments de débat, l'impact financier des déficits des caisses sur les finances publiques et l'endettement public, la réforme doit donc tirer la leçon des expériences étrangères, notamment européennes voire nord-européennes pour refonder un «système de protection sociale» au Maroc. Autre élément épinglé, c'est l'information insuffisante de la population. Elle reste d'un contenu assez faible, peu cohérente et rejaillit uniquement à l'occasion des débats sur la réforme. La plupart du temps, elle est présentée dans un contexte dramatisé par l'imminence d'une réforme. La plupart des salariés ignorent tout des mécanismes de calcul des droits à pension, le taux de remplacement... Ceci montre l'importance du chemin à faire.