Les grands absents de l'agenda social La Journée internationale des migrants, qui a été célébrée mardi 18 décembre, est passée inaperçue en Espagne, pays qui avait pourtant enregistré les deux dernières décennies les plus forts taux de croissance de la main-d'œuvre étrangère. Jusqu'à une date récente, l'immigration en Espagne était au centre des préoccupations de la société civile, des pouvoirs politiques et acteurs sociaux. Les centrales syndicales en ont particulièrement fait un point central dans leur cahier de revendications dans les négociations avec le patronat et le gouvernement. L'immigration en Espagne préoccupait aussi l'Union européenne pour la forte proportion de la main-d'œuvre étrangère dans le tissu économique et les flux des sans-papiers provenant du continent africain et d'Amérique latine. Le débarquement en masse d'immigrés fut une des conséquences de l'adhésion de l'Espagne à l'UE (alors CEE : Communauté économique européenne). Le marché de l'emploi avait alors subi de grandes transformations à tel point que le travailleur espagnol commençait à bouder une multitude de métiers, revendiquait sans cesse des augmentations salariales et aspirait à davantage de promotions professionnelles. Le recours à une massive main-d'œuvre étrangère devint une exigence du marché de l'emploi pour faire tourner la machine économique, mais les entrepreneurs locaux n'étaient encore préparés à assumer la doctrine des droits de l'homme ni le principe d'égalité des conditions de travail et de salaires entre étrangers et autochtones. Les gouvernements successifs, sous la pression de l'opinion publique, ont été acculés à reformer à trois reprises (2000, 2003 et 2009) la loi organique sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur Intégration sociale. La dernière révision, qui avait coïncidé avec le début de la crise économique, est plus restrictive et plus répressive à l'égard des d'immigrés, c'est-à-dire les étrangers extracommunautaires. Avec le crépuscule d'une économie prospère qui avait porté l'Espagne au carré des dix premiers pays les plus industrialisés du monde, le marché du travail a perdu son engouement pour la main-d'œuvre étrangère. Les pouvoirs publics ont ainsi opté, à cause du déficit public et de la forte proportion de chômeurs, à des politiques restrictives excluant les immigrés de certains services publics, dont la gratuité de la santé et certaines prestations sociales. De cette manière, l'immigré s'est converti en bouc émissaire de la crise. Il est ignoré dans le discours politique et gommé de l'agenda syndical. Il est triste en ces douloureux moments de relever la cécité des médias qui meublaient il y a quelques années leurs colonnes, télé-journaux et bulletins d'informations de thèmes traitant de la condition de l'immigré. Désormais, les syndicats négocient de nouvelles conventions collectives prévoyant la préservation des droits acquis, moins de licenciements de travailleurs, moins de réductions salariales et plus de garanties pour le travailleur. Les médias préfèrent se concentrer sur l'analyse des réformes gouvernementales et leur impact sur le bien-être de l'Espagnol. Le futur de l'immigré passe à un second plan alors 35% des étrangers sont en chômage, contre 25% au niveau national. 2012 sera rappelé comme l'année au cours de laquelle le gouvernement espagnol a approuvé un décret relatif à la soutenabilité du système de santé excluant l'immigré comme bénéficiaire à effets de l'assistance à la charge des fonds publics. Cette mesure prive les étrangers en situation irrégulière d'un droit universel à l'accès à la santé, pourtant garanti dans la Constitution espagnole. Il n'y a pas eu ni manifestations, ni marches populaires ni non plus séances spéciales au parlement pour dénoncer cette mesure. Pourtant, celle-ci vise uniquement 160.000 immigrés, qui ne peuvent pour une raison ou une autre s'inscrire au registre central des étrangers, soit 0,005% du total des 31.859.928 personnes qui avaient bénéficié de l'attention primaire en Espagne en 2011. Ces chiffres démontrent le bas taux d'utilisation des services publics de santé par ce collectif et que le recours à une telle décision n'aura aucun impact significatif sur le budget de l'Etat ni supposera une lourde charge pour le système public de santé. Durant plus de vingt ans, les immigrés ont contribué par leurs force et savoir à la prospérité de l'économie, à l'amélioration du niveau de vie de la population autochtone et des recettes de la trésorerie de la Sécurité sociale ainsi qu'à l'équilibre démographique de l'Espagne. Ils ont également participé à la promotion d'une culture multiforme qui a permis à l'Espagne de sortir de son isolement et devenir une terre de convergences d'ethnies, de races et de religions. En ces temps de crise, les acteurs sociaux et politiques ainsi que les médias sont invités à faire preuve de solidarité à l'égard de ce collectif et partager ses inquiétudes, préoccupations et appréhensions du futur.