De nombreux auteurs d'études et de commentaires sur la condition de l'immigré en Espagne hésitent de traiter des rapports entre Espagnols et immigrés à la lumière de la situation de crise que traverse le pays à travers un prisme xénophobe. Il est difficile de lancer des jugements de valeur sur la base de perceptions et d'opinions subjectives pour sataniser le collectif étranger et lui attribuer la cause de tous les maux de la société. Une vision objective des rapports entre deux communautés culturellement distinctes est seule d'apporter une réponse aux préoccupations de la société. Pour l'opinion publique marocaine, il est difficile de ne pas constater une attitude hostile à l'égard des immigrés marocains en Espagne. Pour les sociologues, l'étude de la réalité sociale est un exercice lent et délicat pour le fait que plusieurs éléments entrent en jeu, dont la crise du modèle de société, le rôle des médias et le changement de générations. Dans cet exercice interviennent d'autres éléments subjectifs tels les stéréotypes et préjugés. Le marocain, dans de nombreuses études anthropologiques, ne jouit guère d'une bonne perception au sein de plusieurs catégories sociales en Espagne. Cependant, aucune étude sociologique ne démontre que la société espagnole est hostile au multiculturalisme, au métissage ethnique ou à la convivialité entre différents collectifs humains. Il est judicieux cependant d'admettre que les marocains sont victimes d'une discrimination d'ordre professionnel. C'est un collectif dont ses membres en chômage peinent à réintégrer le marché du travail. Il y a des causes objectives et d'autres conjoncturelles. Pour les entrepreneurs, le collectif marocain est généralement constitué d'une main d'œuvre peu ou pas qualifiée en comparaison avec d'autres collectifs, particulièrement les roumains ou argentins. Il est aussi un collectif nombreux puisque le pourcentage des marocains actifs occupés est très bas par rapport à sa dimension (800.000 marocains environ en situation régulière) bien que ceux-ci viennent en tête des étrangers affiliés à la Sécurité Sociale en Espagne (plus de 212.000). Enfin, il est un collectif visible dans les médias pour la forte concentration des marocains dans les centres urbains et la profusion d'informations relatives aux flux des sans-papiers subsahariens en provenance des côtes marocaines. Toutefois, seules des enquêtes sociologiques et études officielles sont en mesure d'apporter des données valables sur le degré d'acceptation des étrangers au sein de la société espagnole. Dans ce contexte, la publication du « Rapport sur l'évolution du Racisme et de la Xénophobie », élaboré par l'Observatoire espagnol du Racisme et de la Xénophobie » à titre de 2010, constitue une bonne référence (mais pas la seule) en cette matière. C'est un travail (390 pages) qui a été financé par le ministère du Travail et de l'Immigration. Bien qu'il soit dirigé par des universitaires professeurs de sociologie, il ne peut en aucun cas être une étude fiable dont les conclusions seront des évidences à admettre sans jugement. C'est aussi un travail auquel n'ont pas pris part des sociologues et chercheurs étrangers, dont des marocains. Enfin, les résultats apportés sont approximatifs et puisés dans des sondages réalisés par le Centre d'Investigations Sociologiques (CIS) en 2009. Que dit cette étude ? Ce volumineux travail de recherche comporte trois parties qui traitent de la « présence et de la politique migratoire : frein dans la réception d'immigrés » ; de « l'intégration sociale des immigrés : de l'idéal de l'intégration bidirectionnelle à la complexe réalité de l'adaptation mutuelle », et du « contexte de l'intégration : diversité d'images sur l'immigration et de convivialités avec les immigrés ». S'il a le mérite de faire une radioscopie de l'immigration en 2009, il demeure néanmoins un document de référence à actualiser par des données nouvelles du fait de l'aggravation de la crise économique en 2010 et 2011 et des difficultés d'accès au marché du travail pour les immigrés, particulièrement les marocains. Que pensent les espagnols des immigrés en période de crise? Selon l'étude, 79% des espagnols considèrent que leur pays compte trop d'immigrés. Un tiers (33%) des personnes interrogées pensent que leur nombre est « élevé » alors que pour prés de la moitié (46%) est « excessif ». Encore une fois, les préjugés pèsent énormément dans les perceptions de la société qui croit que les immigrés supposent 21,3% de la population totale (41.420.152 habitants) alors qu'en réalité ce pourcentage est seulement de 12,2%. L'Espagne compte, selon le dernier recensement municipal au 1 er janvier 2011, publié en avril dernier, un total de 5.730.667 étrangers, dont 2.392.491 sont originaires de l'Union Européenne et 3.338.176 autres extracommunautaires. Autre donnée citée dans le même document, reprise d'un sondage d'opinion du CIS en 2009, fait état de 36% de la population espagnole qui se déclarent « opposés » à l'immigration au moment où 41% croient que leur présence a des effets positifs ou très positifs pour l'Espagne. Cette attitude ne diffère guère de celle exprimée en 2008 pour la persistance de la crise économique à cause surtout de l'accès des immigrés (y compris ceux en situation irrégulière) aux services sociaux de base (soins, éducation) et au marché du travail. Les espagnols croient que les immigrés abusent de l'usage de ces services alors que la réalité est autre. L'accès aux services intégraux des soins est exclusivement réservé aux affiliés à la sécurité sociale et aux résidents en situation régulière et leurs membres de famille (qui paient les impôts), un droit garanti d'ailleurs dans la Constitution espagnole. D'après 25% des espagnols en 2009, les immigrés « reçoivent beaucoup plus de ce qu'ils apportent à l'Etat » et que 56% considèrent qu'ils reçoivent « plus ou trop de protection de la part de l'Etat ». Presque la moitié des personnes interrogées par les enquêteurs du CIS estiment aussi que les étrangers « bénéficient de plus de soins sanitaires » et 52% croient qu'ils « reçoivent plus d'aides scolaires ». Plus de 50% considèrent aussi que les immigrés « abusent du système de gratuité de la santé et provoquent la diminution de la qualité de l'attention aussi bien médicale que scolaire ». De même, 44% des espagnols estiment qu'ils doivent avoir la préférence d'accéder à l'attention sanitaire, 56% dans l'élection de l'école pour leurs enfants et trois sur quatre croient que la présence des enfants d'immigrés aux écoles ne profite pas à l'ensemble des élèves. Toutefois, 13% admettent l'existence de “problèmes d'intégration et de choc culturel » et seulement 12% estiment que les immigrés sont à l'origine de « plus de concurrence au marché du travail ». A cause des hauts taux de chômage juvénile, 64% de la population autochtone se déclarent favorables à accorder la priorité aux espagnols pour accéder à un poste d'emploi, 58% estiment que les immigrés « occupent les emplois destinés aux autochtones » et 73% les accusent de la baisse des salaires. Toutefois, 78% de la population reconnaissent que les immigrés « exercent des travaux que les espagnols refusent de faire ». La crise économique a influé sur les perceptions qui se font des immigrés de manière que 19% des personnes interrogées en 2009 pensent que les immigrés en situation irrégulière doivent retourner à leurs pays et 39% proposent d'expulser les chômeurs immigrés de longue durée alors que 69% appuient l'expulsion de tout immigré « auteur de délit ». Par contre, le rapport apporte des données totalement contraires à celles relatives aux perceptions en relation avec le marché du travail. Ce sont 79% des espagnols qui affirment que les immigrés ont droit au regroupement familial, 78% appuient le droit des étrangers à des indemnités de chômage en cas de perte d'emploi, 61% admettent qu'ils prennent part aux élections municipales et 52% sont favorables au vote des immigrés aux élections générales. Au plan de l'intégration, 50% des espagnols considèrent que les immigrés devraient maintenir « les aspects de leur culture et traditions qui ne dérangent pas les espagnols » alors que 45% soutiennent que leur présence contribue à l'enrichissement de la culture autochtone. Dans l'imaginaire collectif, les mentions positives sont plus nombreuses que les négatives ou neutres sur l'immigration. Une reconnaissance de la richesse culturelle corrobore les nouvelles tendances sociologiques qui admettent une convivialité entre les collectifs de différentes ethnies et cultures. De même, la société espagnole reconnaît, en fin de compte, la contribution de l'immigration au développement démographique et à la croissance économique. A la lumière de ce rapport, les conclusions atteintes reflètent nettement l'acceptation de la convivialité avec les immigrés, l'harmonie au sein d'une société multiculturelle et pluri-ethnique, la concession de droits (tels le vote, le regroupement familial ou la création d'associations), la nécessité de l'immigration comme moteur de l'économie et la sanction des attitudes racistes.