Depuis la mort du général Franco, en 1975, intellectuels, universitaires et chercheurs espagnols ont assumé la responsabilité de réécrire l'histoire de leur pays, rétablir la vérité historique et purger la mémoire collective de fausses épopées patriotiques. C'est ainsi que des écrits ont été publiés sur les horreurs commises lors de la Guerre du Rif, les velléités des militaires durant le protectorat sur le Nord du Maroc et l'utilisation de soldats rifains comme chair à canon dans la guerre civile par l'armée des insurgés franquiste durant la Guerre Civile. Parmi les travaux de recherche dignes d'être cités dans ce sens, il est utile de rendre compte d'un essai en 221 pages écrit par l'universitaire catalan Luis Racionero, intitulé «La Méditerranée et les barbares du Nord» (Circulo, 1986) dans lequel il démonte certaines contre-vérités qui meublent les manuels scolaires et polluent la littérature en Espagne. Il s'agit d'une analyse de l'Europe du point de vue du sud dans le but de contrecarrer les excès du modèle industriel, venu du nord et qui a «placé toute l'Europe dans la dépendance économique et la deshumanisation». Pour expliquer son hypothèse, l'auteur affirme dans le prologue que «mon idéal est la Grèce de Périclès, la Cordoue d'Ibn Hazm ou la Florence des Médicis, y comprise la Vienne de fin de siècle mais non la Londres victorienne ni l'actuelle New York. Je ne cois pas en la consommation matérialiste ni en la répression puritaine, sinon en le savoir vivre et en la jouissance sensuelle de la méditerranée». Cette introduction a servi pour démontrer que les arabes n'étaient pas entrés dans la péninsule ibérique comme envahisseurs sinon étaient venus à l'appel de ses rois pour rétablir l'ordre et propager leur civilisation. Leur présence durant plusieurs siècles le confirme et la « Reconquista » n'est qu'un concept inventé par l'Eglise pour justifier sa stratégie de détruire la coexistence des trois cultures, islamique, chrétienne et hébraïque. L'auteur s'appuie sur un ouvrage de l'espagnol Ignacio Olagüe, intitulé «Les arabes n'ont jamais envahi l'Espagne», (Flammarion, 1969), qui a ́été publié en France (pour des raisons politiques) comme un résumé de ses travaux qu'il avait commencés en 1938 pour établir les bases d'une nouvelle interprétation de l'histoire de l'Espagne. Curieusement, cet ouvrage est traduit plus tard en Espagne sous le titre «la révolution islamique en Occident» dans l'intention de les éditeurs de camoufler l'idée centrale de l'auteur. La thèse d'Olagüe est que l'islamisation de l'Espagne ne fut pas une invasion armée mais une diffusion culturelle par laquelle les hispano-romains adopteront la culture la plus avancée de l'époque, qui était l'islam, en la préférant à la barbarie des visigoths et d'autres des envahisseurs du nord européen. Si la thèse d'Olagüe est certaine, «nous nous rencontrons donc devant une autre manipulation de l'histoire à des fins politiques», s'interroge Luis Racionero, un docteur en sciences économiques, ingénieur industriel et ex-directeur de la bibliothèque nationale. Si ce que dit Olagüe est certain, observe-t-il, «les arabes n'étaient autres que les propres habitants des villes et localités espagnoles, qui se sont érigées en groups indépendants, les «taifas», dans un système d'autonomies, quant à leurs dimensions, très proches de la polis grecque». Il est donc essentiel de remarquer que la «Reconquista» serait le mouvement impérialiste d'un groupe guerrier pour imposer son hégémonie sur des territoires autonomes, allusion faite aux campagnes militaires dirigées par les rois Catholiques contre les musulmans d'Al Andalous. La théorie de la guerre religieuse armée, «les croisades», s'utiliserait comme fut utilisée en 1936, pour justifier la Guerre - Civile dont les objectifs étaient économiques et de pouvoir. Dans de telle opération, coopéreraient de peur des prêtres qui écrivaient l'histoire dans les siècles X et XI. Ceci se justifiait par le haut intérêt d'attribuer la conversion de l'Espagne à l'islam à une invasion sanguinaire, dissimulant ainsi un échec à des proportions colossales. D'autant plus, les historiens omettent, dans leur explication, de signaler le traditionnel esprit d'indépendance des peuples ibériques, et aucun n'apporte une justification pourquoi un pays se distinguant pour ses luttes d'indépendance, son courage et ses guérillas, fut soumis par 25.000 arabes en trois ans, et sans résistance aucune, observe l'auteur. La vérité, selon Olagüe, serait que les arabes n'avaient pas envahi l'Espagne et que furent, au contraire, les guerriers du nord ceux qui avaient conquis les villes riches du sud et de la méditerranée, détruisant une culture que celles-ci avaient élaboré comme une synthèse l'ibéro-romaine avec des éléments adoptés du foyer culturel le plus civilisé de l'époque, à savoir l'islam. Ceci ne signifie pas que les arabes n'étaient pas venus en Espagne. Ils y étaient débarqué une fois islamisée ce pays, non une armée envahisseur mais comme des commerçants, intellectuels y compris des dignitaires exilés qui furent à l'origine d'une révolution culturelle dans la péninsule. A titre d'exemple, l'auteur cite le poète Ziryab qui débarqua en 822 à Cordoue. «Les véritables invasions musulmanes se sont produites des siècles plus tard, lorsque, assiégés par des chrétiens, les andalous ont fait appel pour venir à leur aides aux Almohades, Almoravides et Mérinides qui étaient venus dans la péninsule à partir du XIe siècle», rappelle l'auteur. Autre argument à retenir dans cette thèse est que les hispano-romains se sont islamisés de la même manière aujourd'hui, pour différentes raisons, les espagnols s'américanisent sans besoin que les marines des Etas - Unis débarquent sur les cotes de la péninsule ibérique. D'autant plus, il est très difficile de comprendre comment en cent ans, les arabes, qui étaient des tribus nomades et nécessairement peu nombreux, avaient conquis un empire étalé sur une distance de 9.000 kilomètres en des périodes de plus en plus courtes lorsqu'ils s'éloignaient de leurs bases : 53 ans pour la Tunisie, 10 pour l'Afrique du nord et trois pour la péninsule ibérique. Selon le mythe de l'invasion, Tariq Iibn Zyad était à la tête de sept mille hommes et Moussa Ibn Nousseir avaient emmené 18.000 hommes, soit au total une armée de 25.000 combattants qui avaient vaincu en trois ans les dix millions d'ibéro-romans. Ce qui s'est produit en réalité, selon Olagüe, fut une diffusion culturelle par laquelle Iberia avait adopté la culture islamique, à l'exception de certaines zones septentrionales en Cantabrie et dans les Pyrénées qui avaient entamé une guerre de «Conquista» et d'unification territoriale. Aussi bien les conquérants chrétiens, pour s'abriter derrière une raison religieuse dans les territoires occupés, que les religieux chrétiens pour justifier leur échec dans la péninsule, étaient concernés par la diffusion du mythe d'une invasion armée arabe, alors que la « Reconquista » fut, en réalité une guerre civile. L'Espagne d'Ibn Hazm de Cordoue, d'Ibn Al Arabi de Murcie, de Maimonide, d'Averroès, D'Arnau de Vilanova et Ramon Llull De Majorque, les deux éduqués dans la culture arabe, a inspiré Dante, rendu possible la Renaissance et donné origine à la présence occidentale. L'histoire retient aussi que les rois Catholiques n'avaient pas accompli les pactes signés avec les derniers dignitaires de Grenade sur le respect de leur culture. Les travaux d'Olagüe et l'essai de Racionero sont dignes d'attention. Ceci suppose que le génie constructeur autochtone (espagnol), encouragé par les besoins de culte musulman et enrichi par les éléments ornementaux adoptés de la Perse par les musulmans, est l'œuvre de ladite architecture arabe andalouse. En réalité, elle est andalouse, faite par des andalous islamisés et mozarabes, sous le gouvernement des arabes de la famille califale. Autre élément à souligner est que l'Espagne musulmane était toujours tolérante à l'égard des chrétiens et des juifs, faisant des trois cultures un climat de mutuelle fertilisation dont sont sortis l'art mozarabe, la littérature médiévale, la science andalouse, les cartographes de Majorque, la ferme de Valence et Murcie, Ibn Gabirol, Maimonide, Averroès, Ibn Al Arabi et autant d'autres précurseurs de la science et de la pensée occidentales. En conclusion, comme le souligne Olagüe, «La Reconquista a été la véritable invasion qui dure encore» et il est indispensable de revoir la vision sur «l'envahisseur» arabe qui a servi comme justification pour toute classe d'impérialismes.