S'il y a bien un article qui a rythmé la vie constitutionnelle nationale et qui a fait l'objet d'un débat interminable, voire de polémiques et parfois de contestations, c'est bien le fameux article 19 des constitutions marocaines précédentes : «Le Roi, Amir al Mouminine, représentant suprême de la Nation, symbole de son unité, garant de la pérennité et de la continuité de l'Etat, veille au respect de l'Islam et de la Constitution. Il est le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivités. Il garantit l'indépendance de la Nation et l'intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques ». Rédigé de la sorte, cet article consacre la place centrale qu'occupe l'institution monarchique au sein du système politique marocain. Il constitue la clef de voûte de ce dernier. Replacé au devant de la scène à l'occasion de toute révision constitutionnelle, ce fameux article a subi en 2011 une refonte riche en enseignements. Le destin qui lui a été réservé dans la Constitution adoptée par référendum le 1er juillet 2011, laisse surgir quelques remarques de base : - Premièrement, c'est le Roi lui-même qui a été derrière la relance de la réforme constitutionnelle et du remodelage du paysage politique national. En effet, le discours royal du 9 mars 2011 a annoncé la feuille de route pour une réforme politique globale, assortie d'une échéance pour l'adoption du nouveau texte constitutionnel par référendum populaire. Qualifié de tournant majeur, de révolution tranquille, d'évènement historique et de nouvelle révolution du Roi et du peuple, le discours annonce, en termes plus simples, la nécessité d'un réaménagement des pouvoirs. Ce qui devrait passer inévitablement par une révision de l'article 19. - Deuxièmement, dans un contexte arabe mouvementé, et tenant compte d'une réalité nationale qui a fait prévaloir la revendication pacifique sur la rupture et la violence, le Roi s'est montré conscient de la portée historique du moment et a donné suite à la dynamique de réforme. D'ailleurs, il n'a pas manqué dans son discours de saluer le sens élevé de patriotisme dont fait preuve le peuple, avec sa jeunesse ambitieuse. Dans cette perspective, la révision constitutionnelle, quoique décidée par le Roi et menée par une commission, présente, à l'instar des précédentes révisions constitutionnelles, une réponse à une attente exprimée par la société civile et les forces vives de la nation. La commission a ainsi procédé à une large consultation pour entendre tous ceux qui peuvent apporter un avis utile pour éclairer le débat, en l'occurrence les partis politiques, les organisations syndicales, les organisations de jeunes et de femmes ainsi que les acteurs associatifs, culturels et scientifiques. Chose qui explique le taux de participation à la consultation référendaire et les échos favorables dégagés ici et ailleurs. - La troisième remarque est relative à la refonte de la forme de l'article 19. Pour la première fois de son histoire, la Constitution marocaine fait une démarcation entre les pouvoirs religieux et les attributions civiles du Roi. L'ancien article 19 constituait un bloc de dispositions et consacrait simultanément, au profit du Roi, une autorité religieuse et une autre, temporelle. La première étant logiquement le fondement légitime de la seconde. Désormais, ces deux pouvoirs ont été séparés dans la rédaction de la nouvelle Constitution. Bien que n'appartenant pas encore à l'Histoire, la portée de l'article 19 a été clarifiée dans le sens de la séparation entre les pouvoirs du Roi en tant que chef de l'Etat et ses pouvoirs en tant que commandeur des croyants. - Une quatrième remarque est relative au contenu de la réforme des dispositions de l'article 19 des anciennes constitutions. Au lendemain du discours royal précité, il était clair que la question imminente est celle des pouvoirs du Roi. Ce qui devait se répercuter automatiquement sur ceux des autres pouvoirs de l'Etat. La formule proposée par la nouvelle Constitution a été jugée modérée. Au lieu de remettre en cause le pouvoir royal, pourtant ancestral et largement populaire, la Constitution a procédé dans le réalisme en clarifiant les pouvoirs du Roi et en revalorisant ceux des pouvoirs, exécutif et législatif. Autrement dit, au lieu d'affaiblir un pouvoir au profit d'autres, la nouvelle Loi fondamentale a procédé à leur rééquilibrage en élargissant le champ d'intervention du parlement et en mettant en place un pouvoir exécutif réellement bicéphale par la substitution à la fonction de premier ministre celle de chef du gouvernement et par la reconnaissance à ce dernier de réels pouvoirs de décision et de gestion. En contrepartie, alors que l'ancienne version faisait du Roi le «Représentant suprême de la Nation », la nouvelle fait de lui le «Chef de l'Etat». - Enfin, notre cinquième remarque entend puiser dans la symbolique. Elle renvoie à la nouvelle affectation constitutionnelle du chiffre 19. Depuis toujours exclusivement réservé au Roi et aux larges prérogatives religieuses et politiques de l'institution monarchique, le nouvel article 19, celui de la Constitution du 1er juillet 2011, se réserve à une valeur humaine et sociétale, moderniste et modernisante, celle de l'égalité entre l'homme et la femme. En substance, l'article 19 de la nouvelle Constitution stipule que «l'homme et la femme jouissent à égalité des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental énoncés dans le présent Titre (en l'occurrence, le titre II) et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Maroc et ce, dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes du Royaume et de ses lois». Le même article précise que «l'Etat œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes». Pour ce faire, il prévoit en plus la création d'«une Autorité pour la parité et la lutte contre toute forme de discrimination». Ainsi l'ambition réformatrice du Roi Mohammed VI a pris le dessus sur un contexte arabe incertain, opéré une rupture limpide avec le dispositif constitutionnel précédent et incité, de par le véritable rééquilibrage des pouvoirs qu'elle instaure, les partis politiques et les différents acteurs socioéconomiques à relever le défi de la modernisation de l'Etat et de ses institutions. (Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. La conflictualité structurant la zone sahélo-maghrébine constitue également l'une de ses préoccupations majeures. Outre ses revues libellées, «Etudes Stratégiques sur le Sahara» et «La Lettre du Sud Marocain», le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009)» (décembre 2009), «Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile» (janvier 2011) et «Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies» (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, «La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires ». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume. Professeur à la faculté de droit de Meknès Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales*