Alors que le monde est plongé dans les incertitudes et les peurs d'une crise économique et financière qui n'en finit pas, le Maroc s'interroge : quelle place prendre dans la nouvelle configuration mondiale ? Cette question, que l'on s'est posée il y a des années déjà, allait constituer le fil conducteur d'un débat initié par Attijariwafa bank. Il est vrai que ce débat, en ce début de Ramadan, n'est certainement pas incongru ni iconoclaste. La première banque privée du royaume voudrait en éclairer les pistes pour ne pas perdre toute visibilité sur les choix stratégiques du pays. Il serait illusoire, voire inutile, de s'attendre à une autocritique ou, du moins, une lecture contradictoire des politiques publiques, mais le choix du panel a permis toutefois un regard croisé sur l'évolution du monde d'aujourd'hui et les scénarii de développement qui s'offrent au Maroc. Outre le ministre de l'Economie et des Finances, Nizar Baraka, et la présidente du patronat marocain, Mme Miriem Bensalah-Chaqroun, deux invités de marque ; Hubert Vedrine, ancien ministre français des Affaires étrangères, et Alexander Adler, éditorialiste, spécialiste des questions géopolitiques, allaient donner une autre dimension à ce débat qui semblait sombrer dans les flots d'autosatisfaction. En effet, Hubert Vedrine était « frappé par ce contraste et par cette énergie marocaine ». « Naturellement, le Maroc à des atouts, disait-il, mais il y a des handicaps qu'il faudrait aborder avec sérénité ». Car « le Maroc n'est pas le seul dans cette situation... M. Vedrine savait que « le Maroc, quand il regarde le nord, il se demande avec inquiétude : quelle serait sa place dans le monde...entre l'Europe et l'Afrique ». Pour autant, la question n'est pas si simple. Mais, au-delà des handicaps (insuffisance des IDE, taux d'analphabétisme très important, forte dépendance vis-à-vis de l'Europe et commerce intermaghrébin insignifiant...), le Maroc a intérêt à diversifier ses partenaires, constatait Hubert Vedrine.HuH. Par rapport à l'Afrique, « c'est une belle perspective. Le Maroc est bien positionné, et c'est un atout », a fait remarquer ce spécialiste de l'évolution des relations internationales. Incontestablement, le Maroc se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins. Longtemps cantonné dans son mimétisme, le pays, sorti indemne du «Printemps arabe», se voit offert une opportunité inédite d'affirmer un peu plus -voire un peu mieux- son statut de «maillon de la chaîne de valeur», selon une formule de Baraka. Faisant allusion à la crise en Europe, le ministre de l'Economie et des Finances espérait que le Maroc soit vu comme «élément de solution et non pas comme partie du problème». Zones d'incertitudes Pour Mohamed El Kettani, le président d'Attijariwafa bank, «le royaume doit rester souverain et tenir son destin en main ». Grâce aux apports de la nouvelle constitution, à la volonté politique du nouveau gouvernement, à la vigilance et au souci de conduire les changements organisationnels, le Maroc est en mesure d'aborder sereinement les prochaines étapes clés de la phase de transition qu'il traverse. Même avec un bilan aussi flatteur en termes de croissance économique, « il nous reste, néanmoins, beaucoup de chemins à parcourir pour réduire la pauvreté », soulignait le patron de la banque. Il y a aussi «le fait que l'Union européenne, notre principal partenaire commercial, soit en situation difficile, laisse planer certaines zones d'incertitude sur la santé de l'économie marocaine». Rien de grave. Dans cette crise, il y a une chance à saisir de nouvelles opportunités. Encore faut-il être «plus innovateurs et plus audacieux dans notre stratégie de trouver d'autres leviers de croissance. Parmi ces leviers de croissance, il y en a un, aux yeux de Mohamed El Kettani, c'est celui de l'Afrique, notre propre continent». Comme disait l'adage, «quand tu ne sais pas où aller, regardes d'où tu viens». Cette perspective africaine repose, à coup sûr, sur un pari audacieux. Le Maroc pourra compter sur la qualité de son travail, sur ses réseaux et le degré de sa percée en terre africaine. « Mais, a-t-on tout fait ? s'interrogeait la présidente du patronat marocain. Non, bien évidemment. « Ce qui reste à faire n'est pas aisé », convenait Mme Bensalah-Chaqroun. « Nous sommes ambitieux, mais vigilants ». En effet, «nous ne sommes plus dans le contexte idéalisé des années 2000», rappelait Vedrine. La crise de la dette souveraine en Europe, la volatilité des cours des matières premières, la recrudescence des crises politiques et des risques naturels, le manque de croissance en Europe et aux Etats Unis, le rôle prépondérant des puissances émergentes (Brésil, Inde, Chine...), «le monde change et les incertitudes surgissent ». Pour Vedrine, «L'Afrique n'est pas un effet de mode, c'est bel et bien un réservoir de croissance ». Maintenant, si la carte Afrique promet, la question est de savoir comment faire en sorte que le Maroc soit inséré dans l'économie mondiale. Tout un programme ! Nizar Baraka, ministre de l'Economie et des finances : «Préserver l'indépendance de notre décision économique» L'économie mondiale se trouve confrontée à des risques d'ampleur : atonie de la croissance, crises des dettes souveraines, volatilité des cours des produits pétroliers... Cela nous incite à repenser les économies dominantes. Au Maroc nous travaillons à développer un modèle économique. Ainsi, il faut souligner que le Maroc a tous les touts pour faire face aux défis qui s'imposent. Le modèle économique sur lequel nous travaillons au sein du gouvernement vise, en premier lieu, au renforcement de la croissance interne, de la croissance endogène et de l'investissement, l'encouragement de la petite et moyenne entreprise, le développement des mécanismes de solidarité et de protection sociale pour renforcer la cohésion sociale. Nous œuvrons également à diversifier nos exportations vers l'extérieur et pour la mise en place d'un développement territorial intégré. Au final, nous travaillons pour la mise en place d'une bonne gouvernance afin de renfoncer la confiance en notre économie nationale et améliorer, par conséquent, l'efficacité des dépenses publiques. Bref, pour relever le défis, nous avons considéré qu'il est essentiel de se baser sur le triptyque, qui est la préservation de la souveraineté, c'est –à-dire, préserver l'indépendance de notre décision économique. En deuxième lieu, le renforcement de la compétitivité et en troisième lieu l'amélioration de la gouvernance. Meriem Ben Saleh Chakroun, présidente de la CGEM : «Le défi majeur doit être l'élévation du niveau des compétences» Mettre en exergue les réalisations du Maroc de cette dernière décennie en quelques minutes n'est pas chose aisée, tellement sont divers les domaines où le pays a connu de véritable transformation. Et qui dit ce qui a été fait sous-tend ce qui reste à faire. Le Maroc a d'abord fait le choix de la démocratie et de l'ouverture dans tous les sens du terme. Cette voie est exigeante. Elle n'est ni aisé, ni gagnée d'avance. Mais grâce à la vision vigilante de S.M le Roi Mohammed VI, le Maroc a pu franchir les étapes, les unes après les autres... Faire le choix de l'ouverture, c'est accepter l'exigence de la compétitivité au niveau international. Nos entreprises ont révélé, ou beaucoup d'entre elles, le challenge de cette concurrence (BTP, tourisme, télécommunications, assurances...). La méthode de l'ouverture c'est aussi l'application des partenariats avec des entreprises internationales comme effet de levier pour la dynamisation de l'économie du pays. Ainsi, le Maroc est rentré par la grande porte dans domaine de la production de l'automobile. Dans le même registre, qui aurait même pensé que le secteur de l'aéronautique s'installerait de façon significative au Maroc... ce sont là quelques exemples qui illustrent bien que l'ouverture à la mondialisation ne rime pas avec marasme et perte de compétitivité. La méthode de l'ouverture doit être faite également faite par le biais du partenariat public privé... Nous devrons être exigeants dans le traitement de cet axe car il est déterminant pour la croissance... Aussi l'amélioration du climat des affaires est un axe nodal dans l'amélioration du dialogue public-privé. Le défi majeur doit être l'élévation du niveau des compétences. L'éducation et la formation professionnelle doivent faire l'objet d'un travail en commun et sans relâche avec le gouvernement et tous les acteurs de la vie économique du pays. Nous disposons au Maroc d'un encadrement de qualité et d'une excellente formation universitaire d'université, mais sont-ils adaptés au monde de l'entreprise ? Il nous appartiendra à tous d'amener toute une génération vers l'employabilité. Un pays à fort niveau d'éducation, n'aura jamais rien à craindre de la compétition internationale. Mohamed El Kettani, PDG du groupe Attijariwafa : «Trouver d'autres leviers de croissance» En deux mots, il est de notre devoir à nous tous, en tant que dirigeants, chefs d'entreprise, décideurs politiques, leaders d'opinion, de nous rassurer que nos choix économiques et sociaux, aux côtés de leur rentabilité financière classique, remplissent bien leur rôle de développement durable pour tous, et que personne n'en soit exclue. Néanmoins, malgré tous ces efforts considérables, il nous reste beaucoup de chemins à parcourir pour réduire la pauvreté, et s'assurer que chaque citoyen de ce pays bénéficie des fruits de cette croissance, et voit son quotidien s'améliorer. Le fait que notre principal partenaire commercial, l'Union Européenne (plus de 60% de nos flux extérieurs), soit en situation difficile (en raison en réalité des divergences de productivité entre les différents membres), fait planer certaines zones d'incertitude sur la santé de l'économie marocaine. Cette menace doit être transformée en opportunités, et doit nous pousser à être encore plus innovateurs et plus audacieux dans notre stratégie de trouver d'autres leviers de croissance. Parmi ces leviers de croissance, il y en a un qui se distingue à mon sens, c'est celui de l'Afrique, notre propre continent. Comme disait l'adage « quand tu ne sais pas où aller, regarde d'où tu viens ».