Il n'est plus possible de parler du théâtre ces dernières années sans aborder l'expérience de Latefa Ahrrare, en tant que comédienne, bien évidemment, mais aussi en tant que réalisatrice. Elle s'est imposée à la faveur d'un effort colossal. Pas de recette magique, donc. Outre les polémiques suscitées autour de la forme et du contenu... le chemin qu'a emprunté Latefa Ahrrare mérite plus d'une discussion. Al Bayane l'a interviewé pour vous, après sa distinction à Meknès, du prix de la meilleure actrice au festival national de théâtre. Entretien, Al Bayane : Nouvellement consacrée meilleure actrice du estival national de théâtre de Meknès, quelle en est ta réaction ? Latifa Ahrrare : Ma nouvelle création «La Pianiste» a eu le prix de la meilleure actrice ex aequo à Meknès et a eu également une mention pour la conception sonore de Zouheir Atbane, qui, d'après le jury, était originale, sans oublier la nomination de la scénographie de Abdelhay Seghrouchni. C'est mon deuxième prix à Meknès, puisqu'en 2003, déjà, j'avais remporté le premier prix pour mon rôle dans la pièce «Jrada Malha». Les prix nous permettent certes de jouir des résultats de nos efforts, mais aussi nous imposent une autre loi, à savoir de rester à la hauteur d'un certain niveau, sinon aller plus. Personnellement, je suis de plus en plus exigeante avec moi-même et avec les autres. Par ailleurs, je tiens à cette occasion, à féliciter ma collègue Jamila Haouni, car, comme je t'ai dis, nous avons eu ce prix toutes les deux. C'est quoi un prix dans le parcours d'une artiste ? Vous n'êtes pas sans savoir qu'il s'agit de mon énième prix. J'avais personnellement, à maintes reprises, été primée en tant que comédienne ou en tant que réalisatrice. Et cela a toujours du bon effet sur les artistes en général. Ce qui est normal. Dans mon parcours, j'ai eu plein de prix en Pologne (Capharnaum a eu le grand prix), en Allemagne, au Canada, en Egypte, et bien sur au Maroc (beaucoup de prix nationaux), dont le dernier en mars dernier à Rabat où j'ai remporté le prix de meilleure actrice pour mon rôle à Capharnaum et Tarik Ribh, meilleurs costumes pour le même spectacle qui, justement, a créé la polémique autour du nu ou non nu alors que cela voulait simplement dire que c'est un costume. Ne voyez-vous pas que l'éducation au théâtre manque dans notre pays, en tant que responsabilité pédagogique ? L'éducation au théâtre et aux arts reste une mission majeure à toutes et à tous. Et l'on ne peut que déplorer le fait que l'école ne joue pas encore pleinement ce rôle essentiel d'éducation au théâtre, pour permettre l'éclosion d'une mentalité ouverte et éprise de bien de valeurs positives. Personnellement, je suis professeur d'enseignement artistique au sein du centre de formation théâtrale qui relève du ministère de la Culture où je donne des cours d'expression corporelle et courante du théâtre. Mais, en tant que comédienne et metteur en scène à travers mes représentations, je contribue également à ouvrir l'horizon d'attente du spectateur et de lui montrer qu'il n'y'a pas un seul genre, mais plusieurs, tout comme il n'y a pas un seul public mais plusieurs. Ainsi, nous n'aurons pas de fanatiques culturels ... (rires) d'ailleurs, je ne suis pas la seule, beaucoup de mes collègues le font... et en ce moment le Maroc vit une dynamique « Nayda culturelle » qui se veut libre et responsable de ses choix ... Ce qui arrive à ceux prônant la liberté d'expression vous interpelle-t-il à juste titre ? Ahhh ! bien évidemment. Le combat pour exister et exercer ses convictions est le droit de tout un chacun ... et les créateurs et les journalistes sont les premiers à en souffrir souvent. Certes, j'ai vécu et vit toujours ce combat et là apparemment, la dose va augmenter surtout avec le cas du journaliste Mokhtar Larhzioui qui a subi l'appel au meurtre du Cheikh Nahari que l'Etat ne devra pas laisser passer sans application de la loi. C'est quoi ces lectures maltraitées des discours et c'est quoi cette tutelle que quelques uns persistent et veulent nous faire subir au nom de la religion. Nous sommes un pays où les institutions doivent remplir pleinement leur responsabilité... concernant les fetwas, je crois qu'il y'a un Conseil des Oulémas qui s'en charge. Et depuis quand un Imam juge et appelle à la mort d'un citoyen sous prétexte qu'il a porté atteinte au mœurs et à la religion ... Franchement, je reste bouche bée devant ces aberrations. Nous sommes tous appelés à se respecter et surtout à nous écouter les uns les autres et c'est pour cela que l'éducation artistique doit se faire dés le bas-âge, pour que les générations à venir sauront vivre mieux leur citoyenneté dans l'acceptation de la différence, l'acceptation de l'autre ...Bon qu'il est, mais pas tel qu'on veut le voir.