Mohamed Leftah est un journaliste et écrivain marocain né à Settat en 1946 et mort au Caire (Egypte) en 2008. Le parcours académique de cet écrivain a été, essentiellement, axé sur des études scientifiques. Et, après avoir obtenu une licence en mathématiques, il s'inscrit à l'Ecole des Travaux Publics en France. Toutefois, il se détourne de ses études d'ingénieur et finit par obtenir un diplôme de programmeur en informatique. A l'issue de ses études, le jeune diplômé regagne sa terre natale, le Maroc, pour travailler en tant qu'informaticien dans diverses structures (Banques, Office du commerce extérieur, Assurances…). Aussi, Leftah ne tarde-t-il pas à se consacrer entièrement au domaine du journalisme, entamant par là le premier pas vers l'univers de la littérature et ce en écrivant des chroniques, des comptes rendus de livre dans des organes de presse tels : Lamalif, Al Assas et le Libéral, mais également en réalisant divers entretiens avec des personnalités nationales et internationales. Par ailleurs, la vie de Mohamed Leftah ou plutôt les péripéties par lesquelles il est passé sont à l'origine de son œuvre littéraire. En sombrant dans l'alcool et l'écriture, Leftah a pu surmonter les problèmes qui ont ébranlé son ménage : « En 1990, après 20 ans de mariage, ma femme partait en France en compagnie de «promenade» (Nezha ma fille unique). Je vécus alors chez ma mère ». De par son goût prononcé pour la littérature, LEFTAH a su se frayer, quoique tardivement, un chemin des plus extraordinaires dans le paysage littéraire francophone. Au travers de sa plume, il a dépeint par le menu détail l'existence d'une humanité qui jusque là sombrait dans la marginalité. Celle qui par la simple évocation illustre le Tabou. Conjuguant lecture et écriture, Leftah tente de redonner vie à ces créatures en les associant tantôt à ses réminiscences littéraires : vestiges d'un lecteur érudit que fut cet écrivain, tantôt aux plus beaux de ses souvenirs personnels. Ces procédés lui permettent de hisser ses personnages au rang de la splendeur sans pour autant s'abstenir de les décrire dans leurs misères les plus cruelles. Le tout se fait au travers du mot. Ainsi, chez Mohamed Leftah, la force du verbe requiert une importance des plus centrales. À l'instar de ses protagonistes qui sont tous poussés au paroxysme de leurs existences, le verbe Leftahien est également observé dans toutes ses latitudes, et est exposé à tous types de transmutations allant des plus sordides aux plus sublimes. La métamorphose, trouvant naissance dans la métaphore, constitue, quant à elle, une sorte de purgatoire par lequel toute expression, voire tout personnage se doivent de passer afin d'aborder les rivages de «l'ordre poétique» comme se plaît à dire l'auteur lui même. Outre ces particularités stylistiques, Leftah a, de surcroît, ébranlé le genre romanesque on en faisant le lieu privilégié de tous les genres. Mohamed Leftah compte à son actif un grand nombre d'œuvre, entre autres ses deux premiers romans à savoir «Demoiselles de Numidie», et «Au Bonheur des Limbes». Dans le premier roman comme dans le second, l'écrivain expose deux mondes parallèles : celui de l'ordre et celui du désordre. Dans «Demoiselles de Numidie», Leftah évoque l'univers nocturne du troquet, lieu régi par la loi phallocratique des deux maquereaux : Spartacus et Zapata qui décident du sort des filles fleurs au moyen de la scarification qui permet à quelques unes de ces filles, dont Rose est la seule fille-cicatrice, de passer à un rang prostitutionnel leur conférant une petite marge d'autorité sans pour autant altérer celle des maquereaux en leur absence. Ce rituel se déroule dans les conditions des plus immondes faisant subir à ces filles des humiliations sexuelles bestiales. Cette condition sordide est assumée différemment par ces femmes : il s'agit d'un sentiment de liberté pour les unes dont Nectarine, Louisa et Sophia et d'une contrainte imposée par le hasard pour les autres dont Musc de la nuit. Dans «Au Bonheur des Limbes», Leftah oppose dans un premier temps deux mondes parallèles : « la cité solaire » et « la Fosse ». La cité solaire représente un milieu où prône un discours extrémiste préservateur qui ne tolère pas la moindre profanation contrairement à la fosse, un lieu de festin dans lequel l'écrivain convie, par le biais de l'écriture, tous les personnages et figures mythiques, notamment, les figures féminines chères à son cœur. La fosse est bel et bien un espace vraisemblable où le narrateur conjugue profane et sacré. Il mystifie ses personnages féminins qui végètent dans un milieu prostitutionnel du fait qu'il invoque des figures féminines emblématiques telles Rabi' a Al Adawiya et Balkiss, la reine de Saba. Ces deux œuvres portent sur l'univers féminin de la débauche et où Leftah, par le biais de sa littérature, révise à la hausse le statut de la femme vénale. Qu'elles s'appellent Rose, Musc de la nuit, Warda, Sophia, ou autres, ces femmes ont toutes peuplé l'univers Leftahien. Elles mènent, certes, une existence cruelle mais elles sont présentées dans toute la latitude de l'humanité avec leurs moments de gloire et leurs misères les plus avilissantes et qui demeurent revendiquées comme partie prenante de l'Histoire de l'Homme. Si elles pratiquent, comme le dit la tradition populaire, le plus vieux métier du monde, elles restent, néanmoins, des femmes à part entière, dans leur féminité, leur beauté et leur charisme mais que la société a violentées, souillées, dépravées voire déchues de leur piédestal. « Toutes ces demoiselles de Numidie à la vie gâchée, déchirée, participent de cette grande enculée qu'on appelle l'histoire : la Grande Histoire. La grande Violence. » Ainsi au fur et à mesure que nous avançons dans la lecture des deux romans, nous nous enfonçons davantage dans la décadence et la réalité sordide dans laquelle végètent ces femmes engluées dans l'univers de la débauche, mais également nous sombrons dans le sort réservé à chacune d'elle , de la haine destructrice de Louisa à la liberté enfin gagnée de Rose nous passons par le dépassement de soi de Nectarine, par l'initiation vengeresse de Sophia ou encore par l'ambivalence ordre/désordre de Nadia. Par Warda la mort-vivante ou Jeanne la femme accomplie, nous rencontrons également Mmu Rtila avec sa nostalgie des temps révolus, ou Solange la perverse mais aussi l'amour maternel de Musc de la nuit. Toutes ces femmes, Leftah les dépeint au travers d'un parcours voué à la débauche.