Ils étaient des dizaines à frémir aux accolades chaudes, les yeux larmoyants et les cœurs gros. Ils étaient venus de plusieurs régions du pays pour fêter, dans la liesse et la nostalgie, le jour de la délivrance après des années de torture et de supplice. Ils étaient enfin nombreux à répondre à l'appel des retrouvailles, initiés par des camarades de cœur, Mustapha Addichane, Karim Nait L'ho et consorts. La rencontre était si poignante et suave que les propos sortaient à peine pour donner libre cours aux émotions. Seuls les sentiments nobles des grands militants avaient le droit de se faufiler dans les senteurs chevaleresques d'Azrou, la majestueuse. Ils y ont atterri, après des années des errances de la vie quotidienne, alors que nombre se sont rencontrés par intermittence, dans les aléas et les méandres de la ville et la montagne. Mais, ce moment-là, une pléthore d'anciens camarades détenus et leurs amis des autres sensibilités politiques se sont donné rendez-vous, pour peu causer et beaucoup s'enlacer. Toute la nuit de cet indélébile instant où revigorent les vieux sens endoloris, les camarades et les frères des années de plomb ont porté un toast, à la santé de l'amour des valeurs et le glamour des vertus. Aux sons et aux rythmes virtuoses des mélodies du Moyen Atlas, nos champions ragaillardis se sont emportés par l'extase du moment et l'enivrement de l'appartenance, à l'image de Mustapha Addichane chancelant aux anges, égrenant le chapelet des compagnons de lutte pour la postériorité, de Karim Nait L'ho et les camarades de la section d'Azrou qui ne cessaient de congratuler leurs hôtes frémissant d'allégresse. La mémoire d'éléphant ne cède jamais, en dépit des vicissitudes de la vie cruelle et, cette même vie si cruelle soit-elle, n'avait point osé user la mémoire des grands qui remémorent les amis sous les tombes et ceux sous le ciel de la dissipation. Ce soir-là, le récit du long parcours était jalonné de girofles, à l'arôme de la transpiration des geôles de Meknès et aux réminiscences des années du combat pour la dignité, la liberté et du bonheur. Seule la mémoire s'évadait du sarcasme de la tyrannie et emplissait les lieux de la reconnaissance idyllique. Pendant ce temps, les chants pittoresques aux saveurs des cimes du Moyen Atlas faisaient frémir l'âme et le corps. Le temps s'est arrêté ce soir-là, pour permettre aux festoyants de savourer la splendeur du moment le plus longtemps possible et aux narrateurs radieux de finir le conte fabuleux des années de gloire. On se souvenait des journées fastidieuses, mais fastueuses qu'on passait sous les regards dédaigneux des geôliers, on exaltait les sacrifices les familles des détenus, on perpétrait des rhétoriques élogieuses aux solidarités des militants, on étirait de toutes ses forces ces moments de haute intensité…Ce soir-là, on ne pouvait pas monter encore plus haut dans les paroxysmes de la noblesse !