11 cas de lèpre enregistrés dans la région de Missour ont eu l'effet d'un tonnerre. La presse en a parlé. La réaction des responsables du ministère de la santé ne s'est pas fait attendre. Cette réaction est motivée par un besoin et un souci d'informer le grand public et vise aussi à couper court à toute polémique. Mais en toute honnêteté, dans un monde où sévissent tant de drames tels les attentats qui font des dizaines de morts chaque jour, des cyclones, des Tsunamis dévastateurs qui rasent de la carte des régions entières, des guerres inter ethniques, des manifestations sanglantes, la famine qui décime des villages entiers, le SIDA, le paludisme, qui se soucie encore de la lèpre ? La lèpre est une maladie dont on parle très peu pour ne pas dire pas du tout, tant il est vrai qu'à la seule prononciation de son nom, elle fait naître encore de nos jours un sentiment de frayeur, de dégoût et de rejet. Cette maladie, autrefois qualifiée de maudite, était synonyme de croyances infondées, de punition divine, de malédictions, semait la terreur et engendrait des peurs, elle générait la stigmatisation, le rejet et l'exclusion de déformations, d'handicaps et de mort, Il est vrai que depuis l'aube des temps, l'homme c'est retrouvé confronté à cette maladie. Les premières descriptions datent de 600 ans avant J.-C. On la retrouve dans les civilisations antiques en Chine, en Egypte, en Inde, et les lépreux ont toujours été des victimes innocentes auxquels étaient réservés les pires châtiments. De nos jours, les choses n'ont hélas pas beaucoup évoluées, les malades lépreux sont mis au ban de la société, parfois rejetés par leurs collègues, leurs amis, leur communauté et même leur famille. Qu'en est-il du Maroc Parler de la lèpre en 2011, nous invite a revenir un petit peu en arrière pour appréhender comme il faut la réalité. Dans les années 50-60, la lèpre sévissait de façon quasi endémique dans certaines contrées du pays, suscitant la peur parmi les populations et l'impuissance des pouvoirs publics. A cette époque, les malades lépreux étaient rejetés par leurs proches, ils subissaient les pires injustices, ils étaient même dépossédés arbitrairement de leurs biens. Beaucoup d'entre eux mourraient dans l'indifférence la plus totale. Pour les autres qui résistaient, ils vivaient en autarcie dans un coin du douar, ou dans les harat, car les villes réservaient tout un quartier aux lépreux (Harat El Majdoumine, à Fès; Sidi Bennour à El Jadida). Dans les années 40-50 -60 la lèpre sévissait beaucoup au Maroc et on notait plusieurs foyers surtout dans les contrées où existaient la misère, le manque d'hygiène, la promiscuité. On comptait, jusque dans les années 1970, prés de 2 lépreux pour 1000 habitants. Les pionniers de la lutte contre la lèpre Il est évidemment heureux que depuis prés de 40 ans, les choses ont beaucoup changé, énormément évolué, grâce en grande partie à l'implication de praticiens dévoués compétents qui ont consacré leur vie à la lutte contre cette maladie. L'une des grandes figures qui a marqué la lutte contre la lèpre au Maroc est sans conteste feu le docteur René Rollier, que j'ai eu l'immense plaisir de connaître et que j'ai vu travailler auprès des malades lépreux. Grâce à l'obstination du Dr René Rollier, de son épouse, Maryse, un travail colossal, inestimable et utile fut réalisé afin de cerner la lèpre pour mieux la combattre. La première action du Dr Rollier et de son équipe fut la création d'un fichier de malades, avec pour chaque patient son dossier médical, une fiche médico-sociale, une fiche familiale de hansénien (car toute la famille subit alors un dépistage), une fiche géographique, avec l'adresse exacte du malade (douar X, commune Y) et enfin une fiche alphabétique. A partir de là, on peut suivre le malade dans ses contacts familiaux, voir l'importance de la lèpre dans son habitat d'origine et créer ainsi les Services Régionaux de la Lèpre dans les provinces les plus touchées. Pour en arriver là, il a fallu former un personnel spécialisé et convaincu de l'utilité de la tâche. Médecins léprologues ou dermatologues, majors et infirmiers de dispensaires ruraux, tous ont contribué et contribuent encore à éradiquer la lèpre. Pourtant, I' énormité du problème, le manque de moyens matériels et de soutien auraient fait baisser les bras à n'importe qui. Mais René et Maryse Rollier avaient cette foi qui soulève les montagnes. Partis de rien, ou presque, ils se sont battus jusqu'à obtenir les subventions nécessaires à la réhabilitation d'une ancienne prison militaire, qui deviendra le Centre National d'Ain Chok, à Casablanca. Aidés par des organisations non gouvernementales marocaines et étrangères, en particulier l'Association Marocaine d'Application Agricole et de Formation (AMAAF) et l'Aide aux Lépreux Emmaus-Suisse, ils ont réussi à faire de la lutte contre la lèpre une priorité dans le domaine de la santé publique au Maroc. Le docteur Rollier fut un éminent bactériologiste et un grand fervent de la doctrine pasteurienne au Maroc. Chercheur de renommée mondiale, son œuvre scientifique fut principalement orientée sur la lèpre et ses travaux ont aidé à mieux connaître cette maladie, bien avant l'heure de la polychimiothérapie, mais ses qualités humaines ont aussi joué un rôle important pour lutter contre la politique d'exclusion des malades. Son nom est très connu surtout parmi les dermatologues qu'il a lui-même formés. Aujourd'hui, en soulevant le problème de la lèpre, une occasion de l'honorer nous est offerte, nous le faisons modestement, simplement grâce à ces quelques lignes sur le journal Al Bayane. La lutte de la lèpre c'est aussi des femmes et des hommes, des médecins et des infirmières, des bonnes sœurs qui, ensemble, ont réalisé un travail formidable, des professionnels de santé qui ont poursuivi la lutte pour l'éradication de la lèpre. C'est le cas du professeur Sekkat, des docteurs Bourra, Markouch, Sahimi, Belhmer, Boukry, Latifi, Abbour, qui se sont investis dans la lutte contre cette maladie. Aujourd'hui grâce à de meilleurs informations, une plus grande compréhension de cette maladie, nous avons une autre perception de cette affection, ce qui a contribué progressivement à dédramatiser cette maladie infectieuse qui ne fait plus peur, car elle est guérissable si un traitement adéquat est institué précocement, c'est-à-dire avant l'apparition des atteintes neurologiques. La vigilance est de mise Tout cela est fort intéressant, fort instructif, mais doit pour autant dormir sur nos deux oreilles ? Non évidemment, car la lèpre existe encore au Maroc. Des dizaines de nouveaux cas apparaissent chaque année. On note chaque année entre 30 à 40 nouveau cas, donc cette maladie n'est pas éradiquée. Si une maladie est en voie d'élimination on conçoit aisément que l'on puisse s'en désintéresser et c'est ce qui se passe pour la lèpre, la démobilisation est générale tant au niveau des populations que des professionnels de santé qui par la force des chose perdent le réflexe de la maladie lèpre pour établir un bon diagnostic de cette maladie quand elle est en phase de début. Même chose en ce qui concerne les décideurs et les responsables qui se fixent sur d'autres priorités de santé beaucoup plus spectaculaires (SIDA, H1N1, mortalité maternelle, urgences …) La question qui surgit au détour des cas enregistrés dans la région de Missour dans une localité proche de la ville de Boulman, c'est de savoir si aujourd'hui, il faut s'inquiéter d cette démobilisation ? Pour en savoir plus sur les nouveaux cas de lèpre enregistrés dans la région de Missour, dans une localité proche de Bouleman, nous avons rencontré le docteur Omar Menzhi, directeur de la direction de l'épidémiologie au ministère de la santé.