Vladimir Poutine a assuré jeudi aux Russes qu'ils pourraient se prononcer par "un libre choix démocratique" lors de l'élection présidentielle de l'an prochain, à laquelle il ne peut se représenter, et n'a donné aucune indication sur le candidat qu'il pourrait soutenir. Lors de sa conférence de presse annuelle, un véritable marathon qui a duré trois heures et demie dans la "Salle ronde" du 14e bâtiment du Kremlin, le président russe a affirmé qu'il n'entendait pas organiser sa succession, ni désigner de "dauphin", comme l'en accuse l'opposition, en vue du scrutin de mars 2008. "Il n'y aura pas de dauphin. Il y aura des candidats au poste de président (...) Je me réserve le droit d'exprimer mes préférences - mais je ne le ferai que pendant la campagne électorale", a-t-il martelé. L'air détendu, confiant, il a échangé des plaisanteries avec le millier de journalistes présents en évoquant la puissance économique de son pays et a adopté un ton particulièrement conciliant envers trois voisins de la Russie, l'Ukraine, la Biélorussie et la Géorgie, dont les relations avec Moscou ont été chaotiques ces derniers mois, principalement à propos du dossier énergétique pour les deux premiers. Pour la première fois, il ne s'est pas montré foncièrement hostile à la mise en place d'une organisation des pays producteurs de gaz, sur le modèle de l'OPEP pour le pétrole, afin d'éviter les crises comme celle des dernières semaines, une idée qui devrait plaire aux gouvernements européens qui dépendent en partie des fournitures de gaz russe. A propos de la création d'une telle organisation, Moscou a été récemment en contact avec l'Iran et l'Algérie. "Une 'OPEP' pour le gaz, c'est une idée intéressante", a lancé Poutine. CONTRE LE BOUCLIER ANTIMISSILE AMERICAIN "Nous essayons de coordonner nos efforts avec d'autres pays sur ce marché. Il n'est pas question de mettre en place un 'cartel', il s'agit d'assurer la sécurité énergétique de nos clients." Evoquant les questions de défense, le président russe a critiqué l'idée américaine de "bouclier antimissile" en Europe centrale. L'argument avancé par Washington - selon lequel il faut être en mesure de faire face aux menaces de l'Iran et des terroristes - ne tient pas, a-t-il dit, parce que ceux-ci ne disposent pas de missiles balistiques à longue portée. En conséquence, a-t-il ajouté, le projet américain ne peut être que dirigé contre la Russie, qui y répondra de manière appropriée. Il a précisé que son pays mettait au point une nouvelle technologie en mesure de rendre inopérant le système de défense antimissile américain. Vladimir Poutine a rejeté les accusations occidentales selon lesquelles Moscou se servirait de ses immenses ressources énergétiques comme d'une arme politique pour récompenser ses alliés et sanctionner ses adversaires. La Russie avait interrompu ses livraisons de gaz à l'Ukraine en janvier 2006 et celles de pétrole à la Biélorusse le mois dernier, à la suite de conflits commerciaux avec ses deux voisins. "On nous dit toujours que la Russie utilise ses ressources économiques pour atteindre ses objectifs de politique étrangère. Ce n'est pas le cas", a-t-il dit. "Non seulement la Russie a donné leur souveraineté à ces républiques mais elle leur a accordé des subventions énormes depuis quinze ans." "Quinze ans, ça suffit. Cela ne peut pas durer éternellement", a-t-il souligné. COMBATTRE PAUVRETE ET CORRUPTION Sur le plan économique, il a prédit la poursuite de la croissance dans son pays, dont le PIB a atteint l'an dernier 1.000 milliards de dollars. Assis face à la presse, flanqué de deux écrans de télévision géants, Poutine a souligné que la priorité du Kremlin restait d'élever le niveau de vie des Russes et de réduire la pauvreté. Il a en outre estimé qu'il fallait accentuer la lutte contre la corruption et a reconnu que la liberté de la presse devait être mieux assurée. "Nous voulons que tous les citoyens, notamment dans les régions reculées, se sentent en phase avec la vie du pays. Nous savons que les autorités sont souvent critiquées pour les limites qu'elles imposent au fonctionnement des médias. Mais les gens critiquent aussi les médias et jugent que leur couverture n'est pas en phase avec leurs attentes", a-t-il avancé. Interrogé sur l'assassinat l'an dernier de deux de ses opposants, la journaliste Anna Politkovskaïa et l'ancien espion Alexandre Litvinenko, il a affirmé ne pas croire à la "théorie du complot" et a dit faire confiance aux enquêteurs pour résoudre ces affaires. A propos de Litvinenko, mort empoisonné fin novembre à Londres, Poutine a affirmé que celui-ci ne détenait aucun secret d'Etat et n'avait eu aucune raison de fuir son pays. L'ancien espion, sur son lit de mort, a mis en cause le président dans son assassinat. "Il avait déjà dit tout le mal qu'il pouvait sur son ancien travail. Il ne pouvait rien ajouter de neuf. Seule une enquête peut établir ce qui s'est passé", a estimé Poutine. Litvinenko était devenu un proche du magnat russe Boris Berezovski, qui vit aujourd'hui en exil à Londres où il dirige un groupe d'opposition à Poutine. "Pour ce qui est des gens qui veulent nuire à la Russie, nous savons qui ils sont", a ajouté le président russe. "Ces gens-là se soustraient à la justice russe qui les recherche pour les crimes qu'ils ont commis (...), principalement dans le domaine économique. Ce sont ce qu'on appelle les oligarques en fuite."