L'abbé sera inhumé vendredi en Normandie dans un carré réservé à Emmaüs. «C ette semaine, il va faire très froid et l'abbé Pierre est parti alors qu'on avait vraiment encore besoin de lui.» Mourad secoue doucement la tête dans la froidure du boulevard du Port-Royal, à Paris. Hier après-midi, ils étaient une petite vingtaine, surtout des militants des associations de sans-logis, devant l'entrée du Val-de-Grâce où le vieux curé Henri Grouès s'est éteint à 5 h 25. Seuls les proches de l'abbé Pierre sont autorisés à pénétrer dans l'hôpital militaire. Quatre photographies en noir et blanc du fondateur d'Emmaüs ont été accrochées à une barrière métallique. Les passants sont invités à déposer une rose que leur offrent des membres du DAL, qui s'apprêtent à veiller toute la nuit. Carlie, 61 ans, bénévole au Secours catholique, rend hommage «à l'homme de foi qui a mis en action son évangile : vivre pauvre parmi les pauvres» . Un militant se souvient : «On occupait un immeuble rue Condorcet. Les CRS allaient nous déloger quand une voiture est arrivée. L'abbé Pierre en est sorti. Il a parlé à un officier et aussitôt les CRS ont enlevé leur casque. C'était magique.» «Ces derniers jours, il a été prioritaire de le préserver, pour qu'il ne soit pas emporté dans un tumulte qui n'aurait pas été digne de la manière dont il a mené sa vie pendant 94 ans», explique Martin Hirsch, président d'Emmaüs. «Il est mort serein. On a pu encore prier cette nuit ensemble», ajoute son secrétaire particulier. Hospitalisé le 14 janvier pour un simple bilan de santé, l'abbé Pierre avait développé une méchante infection pulmonaire. Pendant ces derniers jours, les contacts étaient réguliers entre l'Elysée et Emmaüs-France. Un «grand temps de rassemblement» sera organisé jeudi soir à Paris au Palais omnisports de Bercy. Tous ceux qui le souhaitent pourront témoigner. Puis un hommage national sera rendu lors des funérailles prévues vendredi matin à Notre-Dame de Paris en présence de Jacques Chirac. A la demande de la famille, les drapeaux ne seront pas mis en berne. Vendredi après-midi, le vieux prêtre sera inhumé, «dans la plus stricte intimité», dans le cimetière d'Esteville, en Seine-Maritime. Il y avait vécu de 1992 à 1999, dans une maison de retraite et de convalescence d'Emmaüs. «Sa place est prévue depuis longtemps dans le cimetière», dit Nicole Ruault, gestionnaire de cette maison. L'abbé Pierre reposera dans un carré réservé à Emmaüs, au milieu des premiers compagnons qui l'avaient rejoint après son appel de l'hiver 1954. Ainsi, Georges Legay, ancien bagnard mort en 1966, et Lucie Coutaz, la secrétaire de l'abbé, qu'il a connue pendant la Résistance en 1943. L'endroit est d'une grande sobriété. Un Christ «récupéré» dans une ferraille, de la grandeur d'un homme, a été disposé à même le sol. Une quinzaine de sépulturessont déjà occupées. Hier, le maire et un représentant des pompes funèbres arpentaient le cimetière. «Il faudra creuser là où il y a le Christ», faisait remarquer le représentant des pompes funèbres. «On attend 2 000 voire 3 000 personnes», expliquait le maire, en ligne avec la préfecture. Devant la grille, William, 80 ans, le vieux sonneur de cloches, pleurait.