""uel gâchis !" Les mots de Gaël, militant d'un collectif antilibéral à Toulouse, suffisent à résumer l'ambiance. Samedi 9 décembre, dans un gymnase de l'Ile Saint-Denis, un millier de militants des collectifs antilibéraux se sont retrouvés pour se mettre d'accord sur un candidat pour l'élection présidentielle de 2007. Des trois candidats en lice, c'est la communiste Marie George-Buffet qui arrive en tête des scrutins organisés dans les collectifs. Devant l'élue parisienne, Clémentine Autain, et le cofondateur de la Fondation Copernic, Yves Salesse. Mais pour choisir le candidat, c'est la règle du double consensus qui a été retenue : les collectifs et les organisations politiques qui les composent doient parvenir à se mettre d'accord sur un nom. Et dans les allés du Centre Sportif de l'Ile des Vannes, la solution semble difficile à trouver. Au banc des accusés : "le Parti communiste, il a retrouvé ses vieilles pratiques", dénonce un militant lyonnais, "ils ont bourré les urnes, à leur manière". Plusieurs militants racontent comment, le jour du vote, ils ont vu arriver en nombre dans leurs collectifs des adhérents du PCF qui n'y avaient, auparavant, jamais mis les pieds. "Dans un collectif en Haute-Garonne qui compte d'habitude 30 personnes, ils sont arrivés à 25 de plus. Pas difficile de faire basculer le rapport de force en faveur de Buffet", raconte Gaël. Dans les Bouches-du Rhône, dans le Jura, dans la Loire, à Paris, les mêmes histoires se répètent et se racontent, de délégation en délégation. La salle est d'ailleurs à l'image de cette fracture : une moitié de délégués sont opposés à la candidature Buffet, l'autre moitié y tient farouchement. Résultat : les militants des collectifs et des autres forces politiques (minorité de la LCR, gauche des Verts, Alternatifs, etc.) menacent de ne pas participer à la campagne de Mme Buffet... et de laisser le PCF mener une campagne qui n'aurait d'unitaire que le nom. "ÇA VA ÉCLATER, SI ÇA CONTINUE" Dans certains collectifs la situation est plus nuancée. "Dans mon collectif", raconte un militant du 19eme arrondissement, " les cadres du Parti ont fait venir plein de vieux adhérents pour voter Buffet mais ils ont dû affronter les autres militants du PC, qui défendent la candidature unitaire depuis toujours". Car au sein du PCF, les mêmes tensions se font sentir. "Ce n'est pas juste ce qu'on fait les camarades, confie un secrétaire de section anonyme, il aurait fallu jouer le jeu unitaire jusqu'au bout, pas passer en force. Dans ces conditions, on sera nombreux à ne pas faire la campagne de Marie-George, tant pis". "En interne, ça va éclater, si ça continue" confirme une militante du Rhône. A la tribune, un communiste des quartiers nord de Marseille interpelle la secrétaire générale du PCF : "Marie-George, j'apprécie ton discours, mais quelle est ta solution pour sortir la tête haute ?" Les militants communistes fidèles à la ligne de la direction parlent de "mauvais procès" : "ils refusent simplement de soutenir Marie-George, c'est injuste. Si quelqu'un d'autre était arrivé premier, nous, on l'aurait soutenu ", explique un jeune communiste de Rennes. A l'extérieur, devant un verre de café, les militants tentent de convaincre : "de toute façon Marie-George est la plus rassembleuse ", insiste Cyril, de Clermont-Ferrand. Olivier, membre de la LCR dans la même ville, ironise : "Tu plaisantes ? Si Buffet a été désigné c'est parce qu'on a vu pousser des collectifs du jour au lendemain, avec seulement des communistes, pour soutenir sa candidature". Et de citer en exemple un collectif d'un village des Bouches-du-Rhône, créé fin octobre, et dont la seule réunion a consisté à faire voter les adhérents communistes locaux pour soutenir la candidature de la secrétaire générale de leur Parti. "NI OLIVIER, NI MARIE-GEORGE" Dans les collectifs, si l'amertume est grande vis-à-vis de la direction du Parti communiste, l'autre parti de la gauche radicale, la LCR, n'est pas épargné. "Si Olivier Besancenot était là, on n'aurait pas tous ces ennuis", se plaint un militant lyonnais, "ça obligerait le PCF à faire des concessions". "En faisant cavalier seul, la direction de la 'Ligue' fait un mauvais calcul" estime un minoritaire du parti trotskiste,"elle nous empêche de faire jeu égal avec le PC, empêche de faire émerger une vraie candidature unitaire, et jette les communistes dans les bras du PS pour un accord pour les législatives". En marge de la réunion, un représentant de la majorité de la LCR, observe froidement la réunion. "La situation actuelle conforte la direction, qui estime qu'il ne faut jamais faire confiance au PCF", enrage un militant du Xe arrondissement parisien. "Mais ils ne se rendent pas compte qu'une moitié de l'organisation ne fera pas la campagne de Besancenot, de toute façon !". Les militants "non-encartés" sont les plus déçus. "Pour le première fois de ma vie, malgré son orientation sectaire, je voterais Arlette Laguiller pour donner une leçon à Besancenot et Buffet pour avoir cassé cette dynamique formidable" lance Olivier, enseignant à Saint-Etienne. "Si l'aventure s'arrête là, je ne vote ni Olivier, ni Marie-George, je préfère m'abstenir", estime également Gaël. "On peut faire plus de 50 % au référendum contre la constitution européenne, et aux présidentielles il y aurait 5 % à se partage entre Buffet et Besancenot ? On passe à côté de quelque chose, c'est grave, les appareils des partis ne se rendent pas compte.", s'enflamme Jean, qui a voté pour Yves Salesse dans son collectif girondin. "On a l'impression d'être pris pour des guignols, on n'est pas venus pour faire la campagne d'un parti, quel qu'il soit", témoigne Pierre, de Rouen. Marion et Fabien, de Lyon, "n'y croient plus vraiment", après toutes ces tergiversations. Et comme beaucoup d'autres, il ne savent pas quoi faire si la démarche unitaire se termine par un flop. En l'absence d'accord, certains tentent d'imaginer une campagne commune pour les législatives, mais sans trop y croire : l'échec annoncé d'une candidature unitaire pourrait créer une fracture durable... et difficile à oublier.