L'Administration Bush est dans la tempête pour avoir autorisé une gigantesque banque de données avec la complicité des compagnies de téléphone. «BIG BROTHER» est en passe d'avoir un visage, celui de George W. Bush. Le président américain s'est précipité devant les caméras de télévision, avant-hier, pour allumer un contre-feu aux nouvelles révélations du quotidien USA Today sur le programme d'écoutes secrètes de la NSA (National Security Agency). Sans grand succès : les auditions de confirmation du général Michael Hayden, ancien patron de la NSA promis à la direction de la CIA, pourraient en être compliquées devant le Sénat jeudi prochain. L'affaire est un boulet de plus à la cheville de Bush depuis qu'elle a été dévoilée par le New York Times en décembre 2005. Après les attentats du 11 septembre 2001, la NSA, les «grandes oreilles» du Pentagone, s'est donné les moyens de mettre sur écoute n'importe quel citoyen américain sans solliciter de mandat auprès d'un tribunal pourtant spécialement créé à cet effet. Le chef de la Maison-Blanche avait d'abord défendu ce «programme de surveillance terroriste» en affirmant qu'il était limité aux appels internationaux et à «l'interception de communications entre des gens connus pour leurs liens avec al-Qaida ou d'autres organisations terroristes.» Mais le scoop de USA Today révèle un autre volet de l'opération : la NSA collecte aussi les données de tous les appels et envois de courriels passant par les trois plus grandes compagnies de téléphone américaines : AT&T, Verizon et BellSouth. Soit des milliards d'informations touchant à peu près tout le monde dans le pays. Pressions et menaces La NSA n'écoute pas les propos anodins que s'échangent chaque jour les 200 millions d'Américains clients de ces trois compagnies. Elle compile les listes de numéros appelés qui lui sont transmises et mène des recherches au moyen d'ordinateurs superpuissants. Dans un exemple donné par la chaîne ABC, les espions peuvent ainsi identifier tous les coups de téléphone partis de Miami à une certaine heure, ayant duré une minute au maximum et ayant été suivis d'un autre appel au Pakistan. L'objectif est de faire ressortir des «tendances» censées dévoiler des connexions terroristes. Il en va de même avec les e-mails. Une seule grande société de téléphones a refusé de jouer le jeu : QWest, qui dessert 14 millions de clients dans l'Ouest et le Midwest. Lorsqu'elle a demandé si la cour spéciale avait donné son autorisation, il lui a été répondu qu'elle «pourrait ne pas être d'accord.» Les pressions de la NSA auraient été assorties de la menace de ne plus bénéficier de contrats «sensibles». A la suite de ces révélations, George Bush a ajusté sa ligne de défense : «Nous ne fouillons pas dans la vie privée de millions d'Américains innocents», qui reste «farouchement protégée», a-t-il assuré. «Nos efforts sont concentrés sur les liens avec al-Qaida et ses filiales.» Cela n'a pas fait taire les critiques. «Etes-vous en train de me dire que des millions d'Américains sont liés à al-Qaida ?», s'est insurgé le sénateur démocrate Patrick Leahy. «Ces révélations choquantes exigent plus que jamais que le Congrès cesse d'être complice avec la Maison-Blanche pour camoufler ce programme de surveillance massive des citoyens», a renchéri le sénateur Edward Kennedy. Côté républicain, le député du Michigan Peter Hoekstra, président de la commission du renseignement à la Chambre des représentants, a déploré un déballage «qui risque de saper notre sécurité». Mais Arlen Specter, son homologue au Sénat, a promis des auditions publiques, en commençant par les dirigeants des sociétés impliquées. Celles-ci se défendent d'avoir trahi la confidentialité de leurs clients. La légalité des méthodes de la NSA est certes débattue, mais ce sont surtout les mensonges de l'Administration qui pourraient ouvrir une crise politique. «Ce n'est pas un filet dérivant, c'est un programme très spécifique, très ciblé», assurait ainsi en février Michael Hayden, patron de la NSA de 1999 à 2005. Jeudi, dans les couloirs du Capitole où il courtisait les élus en vue de sa confirmation à la tête de la CIA, il a réaffirmé : «Tout ce que fait la NSA est légal et soigneusement étudié.» Il en faudra plus devant le Sénat, qui ne manquera pas de le passer sur le gril.