Technologie - Développé dans la langue de Shakespeare, l'internet ne supporte pas en natif les caractères non-ASCII dans la désignation des noms de domaines, comme les voyelles accentuées ou les idéogrammes chinois. Une situation en passe de changer. Plusieurs participants au Forum mondial sur la gouvernance d'internet, qui se tenait la semaine dernière à Athènes, ont dénoncé la domination de l'anglais dans cet univers. «Je pense que la fracture numérique n'est pas aussi importante que la fracture linguistique. Et c'est cette dernière que nous devons réduire si nous voulons garantir une gouvernance démocratique de l'internet», a notamment déclaré Amada Samassékou, le président de l'Académie africaine des langues. Certes, on trouve aujourd'hui toutes sortes de contenus en français, en chinois ou en arabe sur le web, mais la domination de l'anglais s'exerce plus particulièrement sur la gestion des noms de domaine, qui ne supportent que les caractères ASCII codés sur 7 bits. Aussi n'est-il pas possible, en théorie, de déposer un nom de domaine comportant un ou plusieurs caractères accentués de la langue française, qui doivent être codés sur 8 bits (ASCII étendu). Et le problème est encore plus complexe lorsqu'il s'agit de coder des idéogrammes chinois, des caractères cyrilliques ou arabes. Or il existe plus de 6.000 langues parlées dans le monde, dont certaines supportent plusieurs graphies, et 75% des internautes n'ont aucune pratique de l'anglais. Et pour tous ceux qui utilisent une graphie particulière et des claviers adaptés, il relève de l'impossible de saisir une adresse web en caractères romains. L'Icann (*), l'organisme international chargé de gérer les noms de domaine, expérimente actuellement un système de noms de domaines internationaux (IDN, ou Internationalized Domain Name) censé résoudre la quadrature du cercle. Il consiste à s'adresser, avec des jeux de caractères extrêmement divers, à des machines (les serveurs de DNS ou Domain Name Servers, notamment, chargés de traduire les adresses web en adresses IP) qui ne comprennent que l'ASCII. Traduire les caractères "non standards" en ASCII Le principe des IDN revient à traduire les caractères "non standards" en caractères ASCII, par l'intermédiaire d'un algorithme, Punycode, qui ajoute au nom de domaine un préfixe ("xn--") indiquant qu'il est codé. Ainsi le nom de domaine société.com sera-t-il exprimé sous la forme ASCII "xn--socit-esab.com", que n'importe quel serveur DNS comprendra. Tous les navigateurs web de dernière génération (dont Internet Explorer depuis la version 7) supportent les IDN. Plusieurs autorités nationales de gestion des noms de domaines les autorisent aujourd'hui, par exemple en Allemagne, pour les noms de domaines en .de. Mais ce n'est pas encore le cas pour les .fr, qui sont gérés par l'Afnic. En revanche, il est déjà possible de déposer des noms de domaine en .com ou en .org qui comportent des caractères accentués. Les Anglo-saxons y voient bien sûr un risque de "balkanisation" de l'internet. Tout serait tellement plus simple si tout le monde parlait anglais et écrivait en caractères ASCII. Ainsi au mois de février dernier, l'annonce que la Chine s'était octroyé le droit de créer des noms de domaine de premier niveau (Top Level Domain) comme les .com, .net et autres .org, bafouant l'autorité de l'Icann, a apporté de l'eau au moulin des détracteurs d'un internet multilingue. En réalité, il n'en est rien. La Chine a simplement anticipé, au même titre que le Japon ou la Corée, la prochaine étape de l'internationalisation des noms de domaines, qui consistera à traduire les extensions de premier niveau dans les différentes graphies existantes. Un groupe de travail a été créé à cette fin au sein de l'Icann, qui est présidé par le Sénégalais Mouhamet Diop. Son objectif est de parvenir à ce que chacun puisse saisir un nom de domaine complet dans la graphie de sa langue, sans utiliser un seul caractère romain, fusse pour écrire .com ou .net. (*) Internet Corporation for Assigned Names and Numbers