Au début des années 1960, le roi Hassan II a présidé la première causerie ramadanesque, dans le cadre des «dourouss hassani». Une initiative maintenue sous le règne de Mohammed VI. Ces séances sont marquées par l'intervention d'un large éventail de religieux, issus des différents courants musulmans et qui ont eu la liberté de choisir eux-mêmes leurs sujets. Parallèlement à l'électiondu premier parlement marocain en 1963, le roi Hassan II (1962 – 1999) a présidé la première causerie religieuse, dans le cadre des «dourouss hassani» du mois de Ramadan. Dans le temps, cette initiative visait à limiter la montée des forces de gauche, notamment communistes, tout en redonnant aux préposés religieux une place importante dans la vie publique. Depuis, ces leçons se sont caractérisées par la présence de savants bien connus et de personnalités éminentes dans le domaine des sciences islamiques, qu'elles soient sunnites ou chiites. Des imams chiites invités par les rois du Maroc Parmi les imams chiites les plus célèbres qui ont été invités à donner des causeries religieuses, le philosophe et leader politique et religieux libanais Musa al-Sadr. C'est à Al-Sadr que revient la création du Conseil islamique suprême chiite en 1967, qui est jusqu'à présent la référence officielle de la communauté chiite du Liban. Il a également fondé le Mouvement Amal en 1974, une structure considérée comme le deuxième bloc politique chiite le plus puissant du Liban après le Hezbollah. Al-Sadr a entretenu de bonnes relations avec le roi Hassan II. Dans une interview avec lui, Hussein Yateem, qui est également l'un des fondateurs du mouvement Amal, a déclaré : «Je sais que l'Imam al-Sadr entretenait de très bonnes relations avec le roi marocain, et des relations étroites avec l'ambassadeur du Maroc au Liban, Ahmed Bensouda». En 1968, Al-Sadr a donné une conférence à l'Université Al-Qaraouyyine de Fès, sur invitation du roi Hassan II. En 1978, le responsable politique et religieux est retourné au Maroc, invité officiellement par le monarque à donner une causerie religieuse ramadanesque. Dans d'autres Etats arabes, Al-Sadr n'a pas rencontré le même accueil chaleureux. La même année, il a été invité par le leader libyen Mouammar Kadhafi à Tripoli. Dès son arrivée dans la capitale libyenne, Musa Al-Sadr disparait et son sort reste inconnu jusqu'à présent. Au mois de Ramadan de l'année 2006, le cheikh chiite, l'ayatollah Muhammad Ali Al-Sukheiri, a lui aussi donné une causerie religieuse, cette fois-ci devant le roi Mohammed VI. Cette intervention a porté sur le «rapprochement entre les courants, leurs points de départ et leurs horizons futurs». Le préposé a défendu la nécessité de rapprocher sunnites et chiites, soulignant que cette démarche intellectuelle constitue un chemin vers l'unité. L'invité a évoqué aussi le rôle du Maroc dans le rapprochement des écoles de pensée, notamment à travers l'accueil du siège de l'ISESCO, qui rejoint ces objectifs de rapprochement des courants de pensée islamiques. Dans ce sens, il a exprimé son espoir que la raison dans les différents courants redonne à la pensée et à la réflexion toutes ses valeurs nobles. En plus des religieux chiites, ces causeries ont été l'occasion d'inviter nombre d'universitaires de divers courants intellectuels, comme Sheikh Abi Al-Hassan Al-Nadawi d'Inde, Sheikh Mohammed Metwali Al-Shaarawi d'Egypte, Sheikh Muhammad Saeed Ramadan Al-Bouti de Syrie et Sheikh Muhammad Al-Habh Belkhuja Fi de Djeddah, Cheikh Abdullah bin Abdul Mohsen Al-Turki, secrétaire général de la Ligue mondiale musulmane, le Dr Issam Al-Bashir du Soudan ou encore le Dr Taha Jaber Al-Alwani d'Amérique. Une liberté dans les choix des sujets Le ministère des Habbous et des Affaires islamiques n'a pas imposé aux invités des sujets en préparation de ces causeries, raconte l'Egyptien Youssef al-Qaradawi, considéré comme le chef spirituel des Frères musulmans, et qui a donné une leçon devant le roi Hassan II en 1983 après avoir choisi la thématique lui-même. Il a d'abord hésité à accepter l'invitation parce que «ces causeries contraignent les érudits à certains rituels qui ne correspondent pas à [sa] nature». Dans son écrit, il cite en exemple le fait de «s'incliner, exagérer les louanges et l'exaltation face à un roi qu'ils appellent habituellement le commandeur des croyants». Cependant, il a fini par accepter l'invitation. Il raconte ainsi s'être rendu au palais royal, où son hôte a volontiers accepté la thématique proposée par l'invité. Prenant note d'un protocole peu contraignant, contrairement à son idée de départ, il décrit un chef d'Etat «amical et accueillant». Et d'ajouter : «Absorbé par la causerie plus que par le roi, j'ai oublié à la fin de porter mes prières pour lui. Je me suis laissé aller, comme si je donnais un séminaire dans une mosquée à Doha. Mais à la fin de la séance, Hassan II m'a serré la main chaleureusement, en exprimant sa volonté de me revoir dans le même cadre, la saison d'après.» Actuel président de l'Union internationale des oulémas musulmans, Ahmed Raïssouni indique que lorsqu'il a présenté une leçon dans ce même contexte devant le roi Mohammed VI en 1999, «personne ne [lui] a suggéré un sujet spécifique». Cette tribune ouverte aux dignitaire religieux de tous bords ne s'est pas non plus réduite à des invités masculins. En 2003, c'est la juriste Rajaa Mekkaoui qui a donné l'une de ces causeries, devenant ainsi la première femme à assurer une mission pareille. Son intervention a été donnée devant le roi Mohammed VI, entouré d'un certain nombre de ministres, d'ambassadeurs et d'universitaires du monde musulman. Ces leçons témoignent également de la présentation du président des Maldives, Mamoun Abdul Gayoom, en 1993, où il a donné une leçon sur «la jurisprudence islamique et sa importance urgente pour aborder les problèmes contemporains». Mais cette année 2020, ces causeries religieuses pourraient être annulées, à cause de la pandémie du coronavirus.