Après l'indépendance du Maroc, le royaume avait refusé d'obtenir une compensation financière d'Israël pour ses waqfs à Al Qods. Rabat avait estimé qu'accepter une telle transaction serait une reconnaissance de l'Etat hébreux, ce qui était considéré comme une ligne rouge pour tous les pays arabes. Al Qods est considérée comme la première Qibla et le troisième lieu saint pour les musulmans. Cela démontre ainsi sa place importante, notamment chez les Marocains. Nombreux étaient ceux qui veillaient ainsi à la visiter après l'accomplissement des rituels du Hajj ou de la Omra. Mais ce que peu de gens savent, c'est que les Maghrébins, soit les Marocains, les Algériens et les Tunisiens, disposent de plusieurs waqfs et habous dans la ville sainte, datant de centaines d'années. Ainsi, dans son livre «Les habous islamiques en Palestine à l'époque mamelouke», le Dr Muhammad Othman Al-Khatib précise que «des habous existent pour une classe de la population» à Jérusalem. Il explique que ceux des Marocains restent «parmi les plus importants», rappelant que «la migration des Marocains vers l'Est en général date, quant à elle, de l'époque de l'Etat fatimide». Harat Al Maghariba du roi Al-Fadhal et les habous d'Abou Madine Dans son ouvrage, Muhammad Al-Khatib raconte que les Fatimides «dépendaient, dans la fondation de leur état au Maroc, des tribus amazighes, qui composaient notamment leur armée». Ainsi, avant de décider d'aller en Egypte et de construire leur capitale au Caire, il était donc «naturel que certains de ces Amazighs s'installent en Egypte et à Al Qods, sous le contrôle des Fatimides à cette époque». «Il est probable que le nombre de ces Marocains à Jérusalem ait augmenté après sa conquête par Saladin et que ces Marocains aient vécu en isolement par rapport aux autres groupes», écrit-il. Des années après la conquête d'Al Qods par Saladin, son fils Al-Afdhal Nûr ad-Dîn Alî a décidé, en 1193, de transformer en habous «l'endroit où les Marocains avaient l'habitude de prendre place à Al Qods, près de l'angle sud-ouest du mur de la mosquée». «Hommes et femmes pouvaient ainsi habiter et bénéficier des avantages de ces habous. Ce roi avait même construit une école, connue sous le nom d' ''Al Afdaliya'' dans cette zone», poursuit l'écrivain. Le même livre indique qu'en 1320, «Shuaib bin Muhammad bin Shuaib al-Maghrabi al-Othmani al-Maliki, connu sous le nom d'Abou Madine, construit son habous, portant son surnom et décide de le dédier aux Marocains résidant à Al Qods». Selon l'ouvrage, ces habous comprennent ainsi «le village Ain Karem, la maison et le pont Oum Al Banate et ses magasins, qui comprennent des maisons, une place, un entreport et un sous-sol». Le livre «Les habous islamiques en Palestine et leur rôle dans la lutte contre l'occupation israélienne», de Sami Muhammad Al-Salahat, confirme qu'«après un certain temps, les habous d'Abou Madine étaient devenus tellement célèbre qu'ils seront désignés sous le nom de ''Habous d'Abou Madine et inclueront même les habous du roi Al-Afdhal, connus jusque-là par le nom de ''Harat Al Maghariba'' (quartier des Marocains)». Les waqfs des Marocains sous l'occupation La situation reste la même jusqu'à novembre 1947, quand l'Assemblée générale des Nations Unies a approuvé la décision de diviser la Palestine en deux Etats, un juif et un arabe et de faire d'Al Qods une zone internationale. Après que les Arabes n'aient pas réussi à libérer la Palestine dans la guerre de Nakba en 1948, les Israéliens avaient pris le contrôle d'Al Qods occidentale. Certaines waqfs étaient restés du côté occupé par Israël, alors que d'autres étaient dans la zone sous tutelle de la Jordanie. Les pays du Maghreb concernés par les habous à Al Qods, sous occupation ou protectorat de la France à l'époque, avaient ainsi déposé une plainte en 1953 contre Israël. Selon le numéro 215 du magazine Daaouat Al Haq, publié par le ministère marocain des habous et des affaires islamiques, ces Etats, dont le Maroc, exigeaient ainsi que l'Etat hébreu «reconnaisse officiellement que le village d'Ain Karem et ses terres affiliées sont des propriétés maroco-algéro-tunisiennes» et qu'Israël lève «la saisie de ces propriétés». Rabat, Alger et Tunis avaient aussi exigé que Tel Aviv «verse une compensation pour l'exploitation de ces biens depuis l'occupation israélienne, c'est-à-dire depuis mai 1948». La plainte, déposée par le ministère français des Affaires étrangères, étaient restée d'actualités jusqu'à l'indépendance de la Tunisie puis du Maroc. Le Maroc rejette l'indemnisation d'Israël Trois ans après la plainte, le Maroc décroche son indépendance. Dans une lettre envoyée au ministère des Habous le 13 avril 1957, la diplomatie marocaine l'avait informé que le ministère français des Affaires étrangères lui avait écrit à propos de la plainte conjointe. Israël avait, en effet, fini par accepter de payer une indemnité annuelle pour l'exploitation des terres du village Ain Karem, avec une compensation de de 3 000 livres israéliennes, la monnaie remplacée en février 1980 par le shekel. Une indemnité qui débutera «à compter du 15 mai 1948 et qui se base sur ce qui étaient payés par les exploiteurs de ces terres, soit un dixième de leur production». Dans sa lettre, le ministère français des Affaires étrangères avait ajouté que «cette solution n'est pas considérée comme définitive» et qu'il «s'agit plutôt d'une solution temporaire en attendant une solution définitive au problème». Le ministère marocain des habous avait alors répondu à la lettre du département des Affaires étrangères par une lettre datée du 22 mai 1957, portant le numéro 2410. Elle expliquait que le Maroc ne peut conclure des transactions avec Israël, de quelque nature que ce soit. Et d'expliquer vouloir éviter que cette transaction ne soit comprise comme une reconnaissance - même explicite, de la légitimité d'Israël. La lettre a rappelé que le Maroc, comme le reste des autres pays arabes, ne reconnaît pas Israël, et qu'il est préférable de n'aborder cette question qu'après la libération de la Palestine. La Tunisie a elle-aussi répondu à une correspondance similaire du ministère français des Affaires étrangères, avec une réponse identique à celle du Maroc, alors que l'Algérie était toujours sous colonisation française à l'époque. Après la défaite des armées arabes lors de la guerre de 1967, Israël avait pris le contrôle de tout Jérusalem et a décidé de démolir Harat Al Maghariba. Le 10 juin 1967, les démolitions de maisons avaient même commencé. Le lendemain, toutes les maisons de ce quartier avaient été détruites, dans une opération ayant fait de nombreux martyrs et de personnes sans domicile. Selon le magazine Daaouat Al Haq, qui cite le recensement de 1952, les Marocains, les Algériens et les Tunisiens qui résidaient à Al Qods comptaient environ 2 000 personnes qui «vivaient dans la pauvreté et les sans-abri, malgré l'aide qu'ils reçoivent des Habous d'Abou Madine, en plus de l'aide annuelle qu'ils reçoivent de tous du Maroc, d'Algérie et de Tunisie». Leurs souffrances seront encore aggravées lorsqu'ils seront exclus de l'aide internationale fournie aux réfugiés, du fait qu'ils n'étaient pas Palestiniens.