A la chute du régime monarchique en Egypte (1952), Oum Kalthoum fut perçue comme une chanteuse des temps révolus. Elle fut interdite de diffusion, ce qui la poussa à prendre sa retraite. Mais Gamal Abdelnasser intervint pour la convaincre de revenir sur sa décision. Le guide de la Révolution des officiers libres fit de la suite de son parcours artistique une véritable gloire du monde arabe. Fatima Ibrahim as-Sayed El-Beltagi de son vrai nom, connue comme Oum Kalthoum, fut l'une des chanteuses phare en Egypte et dans le monde arabe au cours du XXe siècle. Les historiens divergèrent sur sa date de naissance. En effet, certains affirmèrent qu'elle avait vu le jour le 21 décembre 1898, mais d'autres avancèrent le 31 décembre 1908. On la surnommait également l'Astre d'Orient dont la musique berça plusieurs générations. On l'appelait tout autant «la mère des peuples», «la quatrième pyramide» ou encore «el sett» (la dame). Son parcours musical commença dès l'enfance et sa renommée dépassa rapidement les frontières de l'Egypte. Ainsi, Oum Kalthoum devint une vedette dans son pays comme dans tout le monde arabe. Dans son ouvrage «Oum Kalthoum, histoire d'une passion», Mohamed Ârad écrivit à son propos qu'elle avait «marqué les arts et la littérature par une tradition éthique de l'écoute et du respect du public, changeant ainsi la perception des chanteurs à travers l'histoire de la culture et des beaux-arts». Une vedette au succès immédiat En 1928, alors qu'elle habitait au Caire depuis quatre ans, elle brava l'autorité parentale en s'habillant en fille (robes sobres à manches longues) et monta sur scène pour chanter «In kont assameh w ansa l'asseya». Ce single enregistra les meilleures ventes de son temps et la révéla précocement comme diva à la voix singulièrement puissante. Le 31 mai 1934, Oum Kalthoum fut la première à chanter sur la chaîne de radiodiffusion égyptienne à son ouverture. Tel un rituel, elle créa chaque semaine une nouvelle chanson qu'elle interprétait les jeudis, écoutée par des millions d'admirateurs et éclipsant toute la programmation que personne ne suivait ce jour-là. La diva vécu un succès fulgurant pendant des années. Mais après la Révolution des officiers libres (juillet 1952) contre la monarchie égyptienne, les choses changèrent. Le Conseil révolutionnaire la considéra comme la chanteuse du roi Farouk qui fut destitué. Ses chansons furent alors interdites de diffusion dans les médias et son titre de majore des musiciens lui fut retiré. Oum Kalthoum décida de prendre sa retraite, mais Gamal Abdel Nasser, qui avait mené la Révolution, intervint auprès d'elle pour la convaincre de revenir sur sa décision. Leur amitié dura jusqu'à la mort de celui qui devint le deuxième président d'Egypte et dynamo du mouvement nassérien panarabe, de 1956 au 28 septembre 1970. Nouvelle vie d'une longue carrière musicale Ali Al-Samman Mansour s'intéressa à cette amitié, dans son article «La place d'Oum Kalthoum auprès de Gamal Abdel Nasser» publié dans la revue Al Majalla qui était éditée à Londres. «La relation privilégiée qui la lia à Oum Kalthoum (…) était inoubliable (…) Elle était basée sur une pureté distinguée, alimentée par une appréciation notable pour son grand rôle artistique à travers lequel elle enchanta toute la nation arabe», écrivit le chercheur. Par ailleurs, Oum Kalthoum était dotée d'une grande conscience politique et s'intéressait aux questions saillantes qui concernaient l'Egypte et le monde arabe. Ainsi, elle dédia nombre de ses chansons à la Palestine et aux martyrs de la cause palestinienne. Muhammad Husayn Haykal rappela dans ses écrits que cet Astre d'Orient faisait partie des noms qui avaient «transformé le Caire à la fin du XIXe siècle et au début de la première moitié du XXe siècle en une véritable capitale arabe, avec les travaux de poètes comme Gibran ou Chaouqi et Matran» Oum Kalthoum avait également été d'un grand soutien à l'armée égyptienne, qu'elle appuya financièrement à plusieurs reprises. Ceci lui valut les appréciations de Gamal Abdel Nasser, qui lui adressa une lettre le 30 octobre 1955. «A Madame Oum Kalthoum Ibrahim, Vous avez fourni une contribution de mille livres pour armer nos soldats qui défendent. Acceptez mes sincères remerciements pour les sentiments nobles et votre patriotisme.» Lettre de Gamal Abdel Nasser à Oum Kalthoum La musique au service des causes arabes Après la défaite des Arabes face à Israël lors de la Guerre des six jours (1967), le soutien d'Oum Kalthoum aux soldats égyptiens se renforça. La chanteuse multiplia les concerts en Egypte et ailleurs, faisant généreusement don de ses bénéfices à l'armée. A travers ces concert, son aura artistique parvint jusqu'à Paris, où elle se produisit les 13 et 15 novembre 1967 à l'Olympia. Dans ce sens, Ali Al-Samman Mansour rappela que «la plupart des représentants arabes en France et en Europe assistèrent à sa réception et d'infinies queues se formèrent à l'entrée de l'Olympia». Ayant lui-même pris part à l'événement inédit, il se souvint qu'«à son deuxième et dernier jour, Oum Kalthoum [lui] demanda de rédiger une lettre au général De Gaulle, président de la République française, en guise de remerciement pour sa position juste concernant le conflit israélo-arabe». La réponse du général ne tarda pas : «Moins de vingt-quatre heures plus tard, il lui répondit. Il la décrivit en substance comme 'la conscience de toute une nation'.» Le soutien d'Oum Kalthoum à l'armée égyptienne ne faiblit pas, à tel point qu'après la guerre d'octobre 1973, le président Anouar el-Sadate s'adressa à elle par écrit avec ces mots, le 11 novembre de la même année : «J'ai reçu votre courrier qui exprime vos nobles sentiments et votre patriotisme, qui exprime un idéal fort à travers votre soutien au renforcement de nos armées pour défendre le territoire meurtri de notre tant aimée nation arabe.» A l'aube du 3 février 1975, Oum Kalthoum mourut au Caire, après avoir longuement souffert d'une néphrite aiguë. Des milliers de personnes endeuillées assistèrent à ses funérailles, l'une des plus grandes de l'histoire de l'Egypte.