Episode meurtrier du IXe siècle, le sac de Rome entrepris par les Sarrasins en 846 est peu évoqué dans l'histoire. Il renseigne cependant sur les aspirations des armées musulmanes et arabes de l'époque, qui n'ont pas écarté l'idée de gouverner la ville, après avoir réussi à prendre le contrôle de la Sicile. En Italie, les premières incursions arabes furent enregistrées en l'an 652, lorsque des attaques et des razzias visèrent la Sicile en premier lieu. Mais avec une réelle stratégie militaire, c'est en 827 que débuta véritablement la conquête arabe de la Sicile, avec la prise de Mazara. Il fallut attendre 965 pour assister à une prise totale de l'île italienne par les armées arabo-musulmanes, qui confirmèrent leur présence sur les lieux depuis le début du IXe siècle. Ainsi, il était connu que les dynasties arabo-musulmanes montraient un intérêt particulier pour cette île, devenue une plaque tournante du commerce maritime et de l'activité portuaire méditerranéennes. Cela dit, les dirigeants arabes n'aspiraient pas à gouverner la Sicile uniquement. A travers leurs armées vassales, ils lorgnaient également sur le reste de l'Italie actuelle, notamment Rome et le Vatican, cœur battant de la localité du Latium. Le pillage de la basilique Saint-Pierre (846) / Bertolini, Storia generale d'Italia: Medio Evo , Milan, 1892 Conquérir Rome à travers la Sicile Tout commença en 842. Les armées sarrasines menèrent l'offensive contre l'île de Ponza, qui faisait partie de la région. Mais ils furent repoussés par les armées chrétiennes, dépêchées depuis Naples et Gaète. En Sicile, Messine fut prise par les musulmans la même année, ce qui renforça leur présence dans le sud. Profitant des conflits internes au sein de l'empire romain à travers les principautés lombardes et campanes, des mercenaires sarrasins enrôlés dans ces guerres facilitèrent l'intrusion des musulmans à Rome, via la commune de Subiaco. Accostés dans les communes de Portus et d'Ostie en 846, ils pillèrent les petites villes avoisinantes de Rome avant de se diriger vers cette dernière. Face à cette force de frappe, l'armée romaine se retira rapidement, laissant ainsi le champ libre à ses adversaires. Après une courte résistance et devant la stratégie bien ficelée des arabes, les armées des Francs et des Lombards furent vaincues et les basiliques dépourvues de leurs vases liturgiques, en plus des bijoux parant les reliquaires. Furent visées également la basilique de Constantin (devenue la basilique Saint-Pierre), ou encore la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs. Les richesses de Rome leur revinrent ainsi et ils ne tardèrent pas à atteindre le Vatican. Dessin de La bataille d'Ostie (849), Cité du Vatican, Séjours de Raphaël Approfondir les recherches pour retracer le sac de Rome Cette histoire fut retracée par Giuseppe Mandalà, chercheur au Centre des sciences humaines et sociales au sein du Conseil national espagnol de la recherche (CCHS-ILC). Consacré à ce long épisode historique, l'un de ses articles scientifiques revint sur ces faits en indiquant qu'ils furent cités par des géographes perses tels qu'Ibn Rustah, ou encore le biographe Jean Diacre. Ce dernier évoquait d'ailleurs «les projets de conquête conçus par l'émir aghlabide Ibrahim b. Ahmad (875 – 902) pour s'introduire depuis Calabre», conquérir Rome puis Constantinople. Selon la même source, «il avait déclaré aux ambassadeurs des villes de Campanie son intention de conquérir Hesperia (l''Occident', en l'occurrence la péninsule italienne), et personne ne pouvait l'arrêter». Giuseppe Mandalà nota que les rêves de conquête de l'émir aghlabide échouèrent peu après, ce dernier ayant perdu la vie pendant le siège de la ville italienne de Cosence. Une représentation du «labyrinthe de Rome» par Ibn al-Qass dans Kitab dala'il al-Qibla / Londres, Bibliothèque britannique, Oriental 13315, f. 46r. Le chercheur rappela qu'au sein des califats musulmans, la prise de Rome faisait partie des aspirations de dirigeant sunnites, mais également chiites, selon le témoignage du philosophe irakien Al-Kindi (801 – 873) que rapporta plus tard Ibn Khaldoun (1332 – 1406). Cette incursion nourrit ainsi tout un imaginaire littéraire et historiographique, du côté arabe comme européen. Giuseppe Mandalà s'arrêta à ces représentations-là, en citant également la description de Rome, contenue dans la Chronique de Siirt, texte nestorien daté entre les IXe et XIe siècles. A travers cet écrit, «il est possible de formuler des hypothèses sur le processus de formation de cette image littéraire unique chez les géographes abbassides», selon le chercheur. Celui-ci rappela d'ailleurs que cet ouvrage offrait une description de la ville appelée en arabe Rumiya al-dakhila (la Rome intérieure), comme l'écrivit un évêque ayant visité la cité. Cela dit, des confusions entre les descriptions de Rome et de Constantinople furent relevées par le chercheur, ce qui ajouta au mystère entourant les aspects architecturaux de Rome, rattachés à sa période arabe. En Sicile, celle-ci s'étendit sur deux siècles, marquant jusqu'à aujourd'hui plusieurs aspects historiques, culturels, culinaires et même quotidiens du sud d'Italie.