L'Observateur du Maroc Votre roman se déroule à l'aube du VIIIe siècle au moment où l'Empire byzantin qui régnait sur la Méditerranée affronte la conquête arabe et tente de résister à l'islam naissant. Pourquoi vous êtes vous intéressé à cette période d'ailleurs très mal connue ? Dominique Baudis. Parce que la traversée du détroit est un épisode historique qui détermine pour des siècles la relation entre le monde chrétien et l'islam. C'est le moment où, pour la première fois, les musulmans entrent en Europe. Jusque-là, ils avaient conquis en quelques années Damas, puis Jérusalem, puis Alexandrie, puis Bagdad, puis Antioche, ainsi que l'Afrique du nord. Mais c'était la première fois qu'ils pénétraient en Europe. Je m'y suis d'autant plus intéressé qu'il existe peu d'ouvrages relatant cet évènement majeur. J'ai trouvé quelques éléments d'informations dans les romanceros, les chansons de geste espagnoles, ainsi que dans les récits des historiens musulmans souvent rédigés plusieurs siècles après les faits. Ils évoquent Julien, le prince de Ceuta - qui avait conclu un traité de paix avec les musulmans -, sa fille, la belle Florinda et Tariq Ibn Ziyad, le héros de la traversée. Mais il s'agit d'épisodes très brefs que musulmans et chrétiens relatent d'ailleurs chacun à sa manière. Ce qui laisse beaucoup de place à l'imagination… Tant mieux puisque je voulais faire un roman ! L'un des héros de votre roman est Tariq ibn Ziyad qui fut gouverneur de Tanger et l'un des principaux acteurs de la conquête islamique de la péninsule ibérique… C'est un grand conquérant, le héros de la traversée du détroit. Sa fin sera pourtant pathétique car il paiera très cher sa conquête de l'Espagne. Il est mort en 720 loin de chez lui, aux arrêts à Damas… Mais il a laissé son nom à Gibraltar puisque, depuis le jour où il a envahi l'Espagne à la tête de ses troupes arabo-berbères, le rocher qui domine le détroit porte son nom : Djebel Tariq, la montagne de Tariq, Gibraltar. A l'époque, les tribus d'Afrique du nord n'étaient pas toutes islamisées quand elles n'étaient pas hostiles à l'islam et aux Arabes. L'émir Moussa eut l'habileté d'intégrer des berbères au sein de ses troupes et de leur confier des postes de commandement. Qu'en est-il exactement ? Les Arabes sont arrivés au Maghreb à la fin du VIIe siècle et en ont achevé la conquête au début du VIIIe. Beaucoup de tribus berbères ont résisté, notamment autour de la Kahena, cette farouche guerrière qui avait fédéré autour d'elle des Zénètes, des Bots, des Numides, des Sanhadja pour combattre les Arabes au Maghreb. Mais d'autres Berbères se sont rapidement convertis à l'Islam: c'est le cas de Tariq, dont le contingent sera majoritairement composé de tribus berbères converties et qui est célébré comme un héros dans le monde musulman. Ces convertis à l'islam ont engagé la conquête de l'Espagne, alors royaume des Wisigoths. Il faut noter toutefois que si les populations berbères se sont formellement converties à l'islam, elles ont souvent continué à pratiquer en secret d'autres cultes. Mais l'islam s'était imposé comme religion officielle. La déliquescence de l'empire byzantin n'a-t-elle pas facilité la conquête du nord de l'Afrique puis de la péninsule ibérique par les Arabes ? L'Empire byzantin n'avait plus la capacité de résister. L'objectif des Arabes était de conquérir l'Europe par l'Orient, en prenant d'abord Constantinople. Pour sauver Constantinople, le plan de l'empereur Justinien II et de son conseiller Angelos consistait à détourner la poussée des armées arabes vers l'Hispanie et des les amener à entrer en Europe par les colonnes d'Hercule, c'est-à-dire par l'Afrique plutôt que par l'Orient. Les huit livres que vous avez publiés sont presque tous des romans historiques. Pourquoi ? Parce que j'aime l'Histoire. Quand je vais dans un pays, je commence par lire son histoire. Et ce qui me passionne particulièrement, c'est l'histoire de la Méditerranée car c'est le lieu où se rencontrent Europe et Orient, islam et Occident.