Un rapport de la fédération espagnole Red Acoge évoque la grande fragilité psychologique des femmes migrantes. Pour beaucoup, leur santé mentale est inquiétante. Comme le héros grec Ulysse, éreinté par ses périples et par les innombrables tribulations qui les ont jalonnés, les ressources psychologiques des migrants sont mises à rudes épreuves. En l'occurrence, les femmes, contrairement à Pénélope, fidèle épouse du protagoniste odysséen restée à Ithaque, s'embarquent elles aussi dans l'aventure migratoire. A l'occasion de la Journée mondiale pour le travail décent, qui se tient chaque année le 7 octobre, Red Acoge, une fédération de 18 ONG espagnoles de défense des migrants et des demandeurs d'asile, est revenue sur la problématique de la santé mentale des femmes migrantes, dans un rapport consacré à l'immigration féminine en Espagne. C'est ainsi que le document évoque le syndrome d'Ulysse, ou «syndrome de stress chronique et multiple du migrant». Il recouvre un ensemble de symptômes dépressifs, anxieux, dissociatifs et somatoformes résultant d'une exposition à des niveaux de stress extrêmes propres au processus de migration moderne. Plutôt qu'un trouble mental, ce syndrome est une réaction naturelle aux niveaux de stress toxiques observés chez les migrants dont la santé mentale est habituellement jugée normale. L'échec en dépit des sacrifices Nombreux sont les facteurs de stress qui peuvent affecter ces personnes et leur bien-être psychique, émotionnel et cognitif. «La combinaison de la solitude, de la sensation d'échec du projet migratoire, du manque et de la peur sont les fondements psychologiques et psychosociaux du syndrome de stress chronique et multiple chez le migrant», souligne le rapport. Le sentiment de solitude est ressenti par 51% des 72 femmes migrantes sollicitées dans le cadre du rapport de Red Acoge – toutes en situation régulière. La séparation avec la famille est l'un des éléments les plus influents, notamment lorsqu'il s'agit d'un éloignement des enfants ou d'un membre en situation de dépendance par rapport à la migrante, pouvant ainsi générer ou alourdir un sentiment de culpabilité. De plus, la précarité économique et sociale dans laquelle elles sont confinées à leur arrivée, souvent pendant de longs mois, réduit la possibilité de faire venir leurs familles et allonge la durée de séparation. Signe qu'un regroupement familial est difficilement envisageable, leur capacité à subvenir à leurs seuls besoins fondamentaux, en l'occurrence l'alimentation et le logement, est grandement compromise. Pour un quart des femmes interrogées (15%), l'insuffisance alimentaire est un facteur important dans la dégradation de leur état psychologique, entraînant fatigue intense et céphalées. En revanche, les situations de surpeuplement et d'entassement, auxquelles sont régulièrement confrontés les migrants, n'ont pas été observées chez les répondantes. Le ratio de personnes par pièce est de 1,33 en moyenne. Red Acoge précise toutefois ne pas connaître la taille de leurs logements, «ce qui fournirait davantage d'indices sur leur qualité de vie». Le diagnostic clinique des psychologues fait état de symptômes dépressifs De même que la vulnérabilité économique de ces femmes, l'impression d'avoir échoué dans leur projet migratoire, en dépit de tous les sacrifices consentis (financiers, familiaux), est ressentie par 32% d'entre elles. Dans le cas où elles regagnent leur pays, leur retour peut être perçu comme une malédiction dans certaines régions, notamment en Afrique. La revenante est méprisée, perçue avec crainte et parfois rejetée par sa famille qui a placé en elle tous ses espoirs. Dans 63% des cas, les migrantes ont fait part de leur échec à répondre aux attentes qui avaient été définies avant leur départ. Enfin, 10% déclarent avoir eu peur pour leur intégrité physique. «On sait que la peur d'être atteint dans son intégrité physique a des effets encore plus déstabilisateurs que la peur psychologique. Les problèmes et les dangers que beaucoup de migrants traversent habituellement peuvent devenir réellement traumatisants, surtout dans des cas d'abus, de viols, de maltraitance ou d'attaques xénophobes», ajoute le rapport. L'affaiblissement des ressorts psychologiques des femmes migrantes s'aggrave d'autant plus lorsqu'elles ont difficilement accès à des soins. Si 65% des sondées disent ne pas avoir rencontré de difficultés particulières pour voir un médecin, 20% confient toutefois avoir peu de temps pour le faire, 16% disent avoir peur de se rendre dans un établissement de santé et 12% craignent d'être discriminées en raison de leur statut. Mais globalement, les chiffres relatifs à la santé mentale des migrantes ne sont pas bons : sur les 72 femmes de l'échantillon du rapport de Red Acoge, 64% souffrent de symptômes dépressifs selon le diagnostic clinique des psychologues.