Ayant grandi à Saint-Denis, la réalisatrice et écrivaine Bouchera Azzouz a développé tôt sa fibre militante et féministe. Aujourd'hui, elle accompagne les femmes issues des banlieues dans leur autonomisation et leur épanouissement. Née en France de parents marocains, la documentariste Bouchera Azzouz a grandi et étudié dans l'Hexagone, après un départ imprévu de son père là-bas. C'est ainsi que la mère de la future réalisatrice partira à la recherche du père de famille, qui «a quitté du jour au lendemain son poste d'inspecteur agricole», sans rien dire à personne. «Ma mère le voyant partir un matin, pensait qu'il allait au travail ; un traumatisme !», nous confie l'écrivaine, dont le frère est né deux jours après les faits. Seule, désespérée et avec deux enfants en bas âge, sa mère réussit miraculeusement à obtenir un passeport. Elle retrouve son époux en France et l'histoire de la petite famille bascule. Du domicile de fonction au bidonville «Cette histoire, mon père ne nous l'a jamais raconté, c'était à la fois la culpabilité, la honte, les regrets, la douleur et le silence», raconte encore Bouchera Azzouz à Yabiladi. Ce sera à sa mère de lever partiellement le voile sur ce secret «qui a toujours empoisonné la vie» des deux parents. «Elle était couturière modéliste et elle ne voyait la France qu'au travers des catalogues de mode. Quand elle atterrit au bidonville boueux et misérable de Saint-Denis, où habitait mon père, c'est la fin de ses illusions. Elle laissait derrière elle une petite villa de fonction pour une baraque de fortune.» Bouchera Azzouz, documentariste et écrivaine Avec tout le bidonville, leur habitation prend feu en 1969 et les parents de la cinéaste obtiennent alors un logement HLM à Bobigny. La mère aura six enfants en France et le père sera chauffeur livreur pour les comptoirs Lyon-Allemand, jusqu'à son décès. Au Maroc, la mère de Bouchera Azzouz ne fabriquait que des robes à la mode de Paris. Arrivée en France, elle ne faisait plus que des robes traditionnelles marocaines pour le trousseau des jeunes mariées. Le salon de l'appartement familial à la cité de l'Amitié devient rapidement le lieu de ralliement de toutes les Maghrébines de Bobigny. Bouchera Azzouz forge sa personnalité en côtoyant ces mères-là. «Le bras armé de ma mère» A un très jeune âge, la réalisatrice est devenue l'«adjointe» de «la couturière marocaine du 93». «Elle m'avait surnommée 'la vieille' (El charfa), parce que juste après moi, était né mon frère, Mokded, puis ma sœur, Yamina. Ce surnom, je le devais du fait que j'étais plongée très très jeune, dans le monde compliquée douloureux, des femmes que j'entendais parler dans le salon de ma mère.» Bouchera Azzouz, documentariste et écrivaine «En grandissant, je suis devenue la bras armée de ma mère. Mon arme, c'était ma plume», nous raconte la militante. A l'origine de cet engouement également, son père lui avait acheté un livre, «Le petit secrétaire», à travers lequel elle avait appris à écrire les courriers. Cet apprentissage et cette vie entourée de femmes aura fait l'engagement féministe de Bouchera Azzouz. La caméra et l'écriture en défense de l'émancipation féminine Bouchera Azzouz ne pensait pas un jour faire des films et écrire des livres. Enfant, elle écrivait des nouvelles, des poèmes, mais qu'elle cachait toujours dans un conduit d'aération dans les toilettes, pour que personne ne tombe dessus. «Etre littéraire dans une famille où les aînés sont de brillants scientifiques était considéré comme une tare. J'ai mis longtemps pour assumer cela», confie-t-elle à Yabiladi. Mais Bouchera Azzouz révèle son talent après avoir écrit et réalisé son premier documentaire en 2015. Elle fait le portrait de sa mère et des «daronnes» de la cité qui ont toutes partagé leurs moments difficiles comme leurs joies, depuis leur arrivée en banlieue. Co-réalisé avec Marion Stalens, «Nos mères, nos daronnes» montre ainsi le parcours de ces femmes pour améliorer leur situation et celles de leurs filles ayant grandi dans les quartiers populaires. Un an plus tard, elle signera l'ouvrage «Fille de daronne et fière de l'être» aux éditions Plon, après avoir écrit «Réussir - la rage d'exister des filles des cités». «Quand on me demande de me définir, je dis que je suis une militante féministe. Tout le reste pour moi n'est qu'un moyen de partager mes réflexions, mon regard sur la société, sur les rapports sociaux.» Bouchera Azzouz, documentariste et écrivaine Aussi, le souci de la réalisatrice est de s'inscrire dans un processus quotidien de lutte pour l'égalité. «La condition des filles de ma génération, c'est-à-dire la première génération post-coloniale née en France, a été une épreuve particulière, explique-t-elle. Nous avons été prises en étau, entre deux difficultés majeures : le racisme de la société sur laquelle pesait encore la guerre d'Algérie, et nos familles, encore marquées par la colonisation et pour qui l'intégration n'était pas un sujet». A l'époque, la complexité de l'exercice a traduit cette oscillation «sur un fil ténu, entre respect des traditions, de notre histoire et cette identité hybride qui était la nôtre», confie-t-elle encore. Ainsi, Bouchera Azzouz a «poussé petit à petit cette réflexion qui [l]'a amenée à construire [ses] luttes spécifiques, tout en cherchant à converger vers celles qui structurent déjà la société française». Porte-voix du féminisme populaire Caméra et livres à la main, la militante questionne la manière la plus efficace d'«intégrer les luttes systémiques, pour s'appuyer sur la force des combats qui nous ont précédés, dépasser la seule question de l'immigration pour se penser comme appartenant à la classe populaire». Pour elle, il s'agit de «poursuivre inlassablement ce combat pour la justice sociale, l'égalité des chances, l'égalité, la fraternité et la solidarité». «C'est de cette préoccupation que j'ai conceptualisée avec mon amie et sœur de combat, Ouardia Sadoudi, le Féminisme Populaire. Extraire le combat émancipateur des femmes, de la seule question raciale, pour préserver intact la question fondamentale, celle de la question sociale.» Bouchera Azzouz, documentariste et écrivaine Toutes ces raisons font que Bouchera Azzouz se passionne pour les formes d'écriture qui constituent un prolongement de sa curiosité forgée dès l'enfance. «J'aime particulièrement faire du documentaire, nous affirme-t-elle. C'est une forme d'écriture qui me passionne et le prolongement de cette curiosité de l'être humain forgée à l'enfance. J'aime les gens, leurs histoires, leurs vies, leurs fragilités et leur grande force. Avec chaque documentaire je vais à l'assault d'histoires singulières, mais dont on se rend très vite compte qu'elles vibrent en chacun d'entre nous. C'est ma manière de donner sens à l'humanisme et l'universalisme. Pour moi, transformer les imaginaires est fondamental si nous voulons parvenir à changer les mentalités et accompagner les avancées législatives». Capitaliser sur l'avenir Femme de terrain ayant étroitement contribué avec des associations féministes locales, Bouchera Azzouz est aujourd'hui présidente-fondatrice de l'association Les Ateliers du Féminisme Populaire. A travers cet engagement, elle revendique l'héritage féministe de sa mère ainsi que des femmes de son quartier. Résolument tournée vers l'action sociale, Les Ateliers du Féminisme Populaire est une structure qui permet aux femmes d'acquérir les outils de leur émancipation. Ce travail se fait par le biais d'un plan élaboré par l'association, appelé PAAF (plan d'accompagnement à l'autonomie des femmes). Celui-ci donne aux femmes et aux filles de banlieue l'accès au chemin de leur autonomie, à travers l'éducation, la possibilité d'approfondir leurs études et de trouver un appui pour lancer leurs propres projets. Derrière sa caméra, Bouchera Azzouz ne reste pas loin de ce combat. Elle travaille actuellement sur son premier long métrage, où elle explore la relation mère-fille, les non dits, le poids du qu'en-dira-t-on, la pression sociale et culturelle. Son film dissèque également le complexe processus d'émancipation. La militante finalise aussi son prochain livre. «Il sera la synthèse de cette histoire si particulière de la première immigration postcoloniale et sa contribution à la refondation de la République», promet-elle.