Depuis plus de trois ans, les Marocains sont de plus en plus nombreux à immigrer clandestinement vers l'Espagne. La conjoncture économique actuelle et les tensions politiques au royaume seraient, selon les experts, à l'origine de ce phénomène. Un repli de l'immigration irrégulière des Marocains vers l'Europe a été observé ces dix dernières années. La crise économique espagnole et le retour des Marocains résidant en Espagne vers leur pays natal a pu laisser croire que l'émigration marocaine vers le royaume ibérique était de l'histoire ancienne. En effet, suite à la crise financière mondiale de 2007-2008, c'était même des Espagnols qui venaient s'installer dans le nord du Maroc. Ainsi, cette immigration espagnole a connu une hausse de 32% entre 2008 et 2012. Si beaucoup avaient décidé de s'expatrier au nord du Maroc pour y trouver du travail de manière légale, il y avait également des Espagnols qui immigraient irrégulièrement en profitant du statut de touriste et de l'absence de visa imposé par Rabat. Histoire : Quand les Espagnols migraient vers le Maroc Toutefois, les Espagnols déçus par leur experience professionnelle ou d'affaires au Maroc, couplé à une reprise économique au royaume ibérique a conduit de nombreux Espagnols à regagner leur pays d'origine. Les Marocains à l'origine de l'explosion de l'immigration clandestine Aujourd'hui, les statistiques espagnoles révèlent que les Marocains seraient à l'origine de l'explosion de l'immigration irrégulière constatée par Madrid depuis deux ans. Par conséquent, un déplacement de la route migratoire a été observé. Les dernières statistiques attestent d'une montée en puissance de l'immigration empruntant le détroit de Gibraltar, et une perte de vitesse de ceux arrivant en Grèce ou au sud de l'Italie. En effet, selon les derniers chiffres rapportés par Frontex, au cours des sept premiers mois de 2018, il y a eu quelques «23 100 passages frontaliers irréguliers sur la route de la Méditerranée occidentale, soit plus du double par rapport à l'année précédente». En tête de liste, les ressortissants marocains, guinéens et maliens ont été les plus nombreux, précise l'agence, tout en affirmant que plus des trois quarts sont originaires de pays d'Afrique subsaharienne. Durant le mois de juillet dernier, «la route migratoire de la Méditerranée occidentale a représenté plus de la moitié de toutes les détections de franchissements illégaux de frontières dans l'UE. Le nombre de migrants en Espagne a quadruplé par rapport à celui enregistré durant le même mois l'année dernière, passant à près de 8 800 en juillet». Filmer son hrig, un phénomène nouveau Désormais, cette montée est accompagnée d'un phénomène nouveau : les migrants marocains sont de plus en plus nombreux à se filmer à bord des embarcations de fortune, sourire aux lèvres et chants euphoriques pour l'occasion, et diffusent leurs vidéos sur les réseaux sociaux. D'ailleurs, certains experts expliquent à la chaîne de télévision espagnole La Sexta que «ces images de joie chez les migrants pourraient encourager d'autres jeunes à suivre le même chemin». Pour José Palazón, de l'Assocation PRODEIN, basée à Melilla, ces vidéos ne sont pas «un élément déclencheur, mais bien un appel à s'échapper (...) car ils n'ont pas d'autres choix». Face au nombre et aux méthodes dangereuses, l'aide arrive souvent trop tard, précise la même source. L'association internationale pour les migrations précise que depuis le début de l'année 2018, plus de 300 corps ont été repêchés sur le Détroit. Pour expliquer cette recrudescence, Frontex évoque un contexte assez tendu dans le royaume : «Des problèmes internes au Maroc, pays de transit vers l'Espagne, ont ouvert une brèche propice aux départs, particulièrement depuis la côte occidentale». Parmi eux, l'agence citait dans son rapport de 2017 «la situation dans la région du Rif», à savoir le mouvement de contestation plus connu sous l'appellation Hirak du Rif. Des évènements auxquels s'ajoutent un ralentissement économique observé ces trois dernières années au Maroc. C'est d'ailleurs la raison principale de la reprise de l'émigration irrégulière marocaine pointée par le Service jésuite pour les migrants. «Malgré l'instabilité politique et sociale découlant des révoltes d'Al Hoceïma au Maroc, c'est l'augmentation du chômage qui a été décisive», plaide-t-il. Article modifié le 17/09/2018 à 18h27