Le Maroc et le Portugal ont vécu une histoire croisée faite d'invasion, d'occupation puis de reconquête. La présence portugaise au Maroc ne se résume toutefois pas à un état de guerre permanent. Otmane Mansouri, historien marocain, évoque les différentes dimensions du face à face maroco-portugais. En un à deux siècles d'occupation du Maroc par les Portugais (selon les villes), les rapports entre Portugais et Marocains se sont-ils limités aux guerres ? Otmane Mansouri : Malgré les guerres, les deux populations ont toujours eu des contacts pacifiques et c'est normal. Cependant, on connait peu la nature de ces contacts. Pourconnaître l'histoire, nous nous basons sur des textes marocains, or ceux-ci ont été écrits pas des oulémas, c'est-à-dire des intellectuels ayant une formation religieuse. Ils lisent tous les évènements à travers le prisme religieux. A ce titre, les Portugais sont des ennemis et restent toujours considérés comme tels. Nous avons toutefois des documents qui prouvent qu'il existait un commerce entre Portugais et Marocains en dehors des ports occupés par les Portugais. A Agadir, à Safi, des tribus marocaines viennent vendre leurs marchandises dans les fronteiras portugaises. Certains Portugais eux-mêmes sont-ils restés au Maroc ? Oui, de nombreux soldats portugais ont notamment été faits prisonniers lors de batailles contre les armées royales portugaises. Vu leur nombre, les Portugais ne rachetaient que les captifs les plus nobles. Ceux qui restaient au Maroc devenaient des esclaves. Parmi ces soldats, il y avait des hommes qui ont obtenu des responsabilités grâce à leurs compétences, qui se sont convertis à l'islam. L'un d'eux, JaoudarPacha, célèbre officier de l'armée saadienne, est même envoyé conquérir l'empire Songhaï du Mali pour y exploiter l'or du Niger. L'héritage portugais au Maroc se limite-t-il aux grandes forteresses de front de mer ? Lorsque les Portugais ont abandonné leurs fronteiras, ils ont tout emporté avec eux. Cependant il existe dans les langues portugaise et marocaine des influences croisées. Même s'il n'existe pas encore d'études poussées, on peut constater qu'il existe de nombreux mots, comme «fechta» qui sont identiques dans les deux langues. La légende de Aïcha Kandicha, la condessa (comptesse) en portugais, est aussi héritée de la présence portugaise. Elle raconte qu'une djinn, une très belle femme, séduisait les soldats portugais pour les attirer dans des pièges et les tuer. La vision de l'histoire est-elle la même des deux côtés du détroit ? Les historiens portugais et marocains ont deux visions différentes de l'histoire. Les deux peuples ont la même histoire, pourtant. Les peuples du Maghreb, dont le Maroc d'alors, ont participé à l'invasion de la péninsule ibérique jusqu'en 1249. Ensuite, les Portugais ont envahi les côtes marocaines. Les historiens marocains analysent les évène-ments de l'intérieur et les Portugais conservent un regard extérieur. Les historiens portugais vont s'appliquer à détailler les intentions qui ont poussé le Royaume portugais à envahir Sebta et les historiens marocains s'attachent à décrire les conséquences de l'invasion sur le Maroc etexpliquer la défaite des sultans mérinides.Les historiens portugais se basent, pour la plupart, uniquement sur leur documentation pour avancer leurs analyses. Ils n'ont pas fait l'effort d'apprendre l'histoire du Maroc de l'intérieur.Personnellement, j'ai appris la langue portugaise, pour accéder aux documents et à cette partie de l'histoire vue par le Portugal. Concrètement, à quel moment de l'histoire les visions portugaise et marocaine divergent, par exemple? Pour les historiens portugais la bataille d'Oued El Maghazine [la bataille des trois Rois] est responsable de la chute de l'Empire portugais puisque le roi Sébastien 1er y est mort. Selon moi, c'est faux. Peu importe dans quelles circonstances est mort le roi portugais, la chute de l'Empire est d'abord due au fait qu'il n'avait pas de fils pour lui succéder. C'est la crise de succession qui a posé problème.Au contraire des historiens, ce qui est plus drôle, les citoyens lambda, portugais et les marocains, ont le même réflexe. Lorsqu'ils voient un site très ancien, ils l'associent immédiatement à la présence portugaise pour les Marocains, même si ce sont des ruines romaines, et à la présence musulmane, pour les Portugais. Cet article a été publié ultérieurement sur Yabiladi Mag n.7 Otmane Mansouri Historien marocain. Titulaire d'un DESS en histoire du commerce au Maroc et d'un doctorat d'Etat sur les relations luso-marocaines postérieures à l'accord de paix, entre 1790 et 1844. Retraité de l'enseignement, vice président de l'association marocaine pour la recherche historique, il se consacre aujourd'hui à la recherche en histoire du Maroc et des relations luso-marocaines. Il a notamment participé, avec Brahim Boutaleb, Lotfi Bouchentouf et Antonio Dias Farinha, à la traduction des écrits de Antonio de Saldanha, « Cronica de Sultao Al Mansour ». L'homme, fils du gouverneur de Tanger, pris par les Marocains dans une bataille, a été esclave au Maroc pendant 16 ans.