Le moment n'avait rien d'anodin. Le même jour où la loi sur l'immigration a été votée en dernière lecture au Sénat, un groupe de parlementaires a présenté un rapport d'audit sur la politique migratoire de la droite gouvernementale. Le bilan est désastreux. Les principaux arguments avancés par le gouvernement pour légitimer une politique de plus en plus restrictive et souvent populiste ne resistent en rien à la réalité sur le terrain. Et le constat est partagé par des parlementaires de gauche comme de droite... Après les députés, c'était autour des sénateurs de dire majoritairement oui à la loi sur l'immigration. Le Parlement français a donc définitivement adopté ce texte controversé mercredi 11 mai au Sénat par 182 voix contre 151. Un texte qui conforte le gouvernement dans sa politique migratoire restrictive, notamment en durcissant là réglementation sur les sans-papiers, pénalisant les «mariages gris», et en rendant possible la déchéance de nationalité, dans certains cas, à des citoyens naturalisés depuis moins de dix ans. Pourtant, alors que le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant parle déjà d'«un texte complet et équilibré pour une politique d'immigration efficace et juste», des membres de son propre parti étaient parmi un groupe de parlementaires présentant un rapport d'audit impitoyable sur cette même politique d'immigration. Un rapport complet... Toutes les principales affirmations du gouvernement pour légitimer l'orientation de la politique migratoire sont mises en question dans un rapport d'audit de la politique d'immigration, d'intégration et de codéveloppement, analysées par un groupe de 35 chercheurs et professionnels. Sandrine Mazetier, membre de l'association de parlementaires pour l'audit de la politique d'immigration, d'intégration et de codéveloppement, et député PS, mentionne les questions qui ont mené l'étude. «Est-il vrai que la France s'expose à accueillir «toute la misère du monde» si elle relâche sa politique actuelle de maîtrise des flux migratoires ? Est-il vrai que les immigrés coûtent cher à la France ? Est-il vrai, que l'intransigeance à l'encontre des sans-papiers favorise l'intégration des migrants en situation régulière et la lutte contre les discriminations raciales ? Est-il vrai que la politique française de rétention, de reconduites à la frontière, d'asile et d'immigration familiale participe de la «démocratie irréprochable» que le président de la République prétend instaurer ? Est-il vrai que le «développement solidaire» a vocation à se substituer avantageusement à l'immigration ?» Le rapport d'audit (à consulter en ligne) permet de répondre ces questions par la négative et de battre en brèche de nombreuses idées reçues, de «vérités» sur l'immigration en France. ... et un bilan désastreux Le coûts de l'immigration, par exemple, sont de beaucoup inférieurs aux bénéfices que tire la France de ses immigrés. Aux 47,9 milliards d'euros que le gouvernement dépense pour leur protection sociale, s'oppose un apport de 60,3 milliards en cotisations. De même, si la France optait pour une «immigration zéro», ce n'est pas 3% mais plutôt 5% du PIB supplémentaire qu'il faudra trouver à l'horizon 2050 pour financer la protection sociale. Sur le sujet du «développement solidaire», ou l'aide au développement, le rapport est également très clair. Dans le discours officiel, cette aide prend de plus en plus le rôle de développer pour freiner le départ des pays d'origine des immigrés. Pourtant, outre le fait que la part d'aide effectivement attribuée à des projets de développement solidaire (30 millions d'euros, sur un budget de 590 millions d'euros de l'ancien ministère de l'Immigration), le constat est inverse. Le développement encourage la mobilité des personnes et la mobilité des personnes apparaît comme un facteur de développement. Sur cet aspect, les chercheurs interrogés mentionnent que les transferts d'argents des immigrés en France vers leurs pays d'origine sont actuellement le moyen de développement le plus efficace qui existe. Un mécanisme qui profite, en sens inverse, beaucoup à la France. Selon Gildas Simon, les transferts de Français établis à l'étranger vers la France s'élèveraient à plus de 12 milliards d'euros par an. Pour comparaison, en 2010 les MRE ont transféré 54 milliards au Maroc, soit environ 5 milliards d'euros. Les Français résidant à l'étranger transfèrent presque deux et demie fois plus d'argent en France que les MRE au Maroc. Quid de «toute la misère du monde» ? La peur est nourrie en permanence et tend à discréditer la seule évocation d'un large ouverture des frontières aux immigrés. Et pourtant, sur ce point aussi, le rapport permet de nuancer. Selon les chiffres de l'INSEE, 5 ans après leur entrée, seuls 60% des titulaires d'un titre de séjour sont encore sur le territoire français. La «vague d'immigration», si elle existe, serait loin de «submerger» la France, mais consiste plutôt en un flux et reflux de migrants. Raison de poser la question centrale que soulève le rapport, qui n'apparaît plus que rhétorique : Est-ce l'immigration qui pose problème ou la politique menée ?