Le 29 mars 1917, les forces coloniales conduites par le général Hubert Lyautey occupaient, pour la troisième fois depuis l'intervention du 14 août 1844, la ville d'Oujda, l'actuelle capitale de la région de l'Oriental. Officiellement, il s'agit d'une intervention en représailles à l'assassinat d'Emile Mauchamp, un médecin français résidant à Marrakech. Officieusement, ce n'est que l'étape d'un plan mûrement étudié. Histoire. Le mouvement d'expansion coloniale de la France au Maroc remonte à plusieurs années, bien avant le traité de Fès de 1912. Le 29 mars 1907 déjà, les forces coloniales, conduites par le général Hubert Lyautey, occupaient la ville d'Oujda en représailles à l'assassinat d'Emile Mauchamp, un médecin qui dirigeait un dispensaire à Marrakech, soupçonné d'être un agent secret. Ce sera là la troisième occupation de la capitale de l'Oriental par la France. Dès le 19ème siècle, Oujda est harcelée par les forces françaises, alors présentes en Algérie voisine. Un harcèlement qui a pour nom «la bataille d'Isly», qui s'est déroulée le 14 août 1844 à la frontière algéro-marocaine en réponse au soutien de l'insurrection de l'Emir Abd el-Kader contre la France. Dans son ouvrage «Chantiers et défis de la recherche sur le Maghreb contemporain» (Editions Karthala, 2009), l'historien Pierre-Robert Baduel fait état d'une deuxième intervention militaire de la France au Maroc, se soldant par une deuxième occupation, plus brève, de la capitale de l'Oriental. «L'expédition du Général Edouard de Martimprey (1808-1833) au Maroc en août 1859 n'a pas beaucoup retenu l'attention des historiens de l'action coloniale française en Afrique du Nord, et encore moins de ses aspects sanitaires», écrit-il en évoquant notamment une supposée nouvelle épidémie de choléra au Maroc parallèlement à cette intervention. Une intervention mûrement préparée C'est au lendemain de cette intervention, soit en 1901, que la France obtient un accord avec les autorités marocaines, l'autorisant à «aider» l'administration marocaine dans les régions encore non contrôlées du Maroc oriental. Quelques années plus tard, en 1904, le Royaume-Uni et la France signent le 8 avril une série d'accords bilatéraux désignés sous le nom d'«Entente cordiale». Une entente marquée notamment par l'attitude compréhensive de la Grande Bretagne vis-à-vis de la volonté française d'étendre son influence sur le royaume chérifien. La France n'a plus que l'Allemagne à écarter avant de passer à l'action. Parallèlement, le sultan Abd al-Aziz s'adresse à l'empereur allemand Guillaume II pour faire barrage aux ambitions françaises. Le 31 mars 1905, Guillaume II se rend au Maroc, traverse le centre-ville de Tanger à cheval et se réunit avec le sultan chérifien. Dans un discours prononcé à cette occasion, l'empereur allemand évoque la souveraineté chérifienne et un Maroc libre, «sans monopole et sans annexion». Un petit clin d'œil aux forces coloniales françaises. C'est alors que la France et l'Allemagne organisent, du 16 janvier au 7 avril 1906 sous l'égide des Etats-Unis, la conférence d'Algésiras en Espagne. Une rencontre au terme de laquelle l'Allemagne, la France et l'Espagne obtiennent provisoirement des droits sur les affaires marocaines. Mais au Maroc, cette rencontre laisse place à une agitation de la population contre les résidents étrangers. La colère se traduit ensuite en actes, avec notamment l'assassinat à Marrakech, le 19 mars 1907, du médecin français Emile Mauchamp (appelé également Pierre Benoit Emile Mauchamp). Nommé au Maroc par décret du ministère des Affaires étrangères pour y diriger un dispensaire créé en 1905 à Marrakech, il fut d'abord accusé de «visées chrétiennes, sournoises et néfastes». Il est retrouvé mort le 19 mars près du dispensaire où il soignait des enfants. L'assassinat d'Emile Mauchamp constituera l'argument le plus adéquat pour une colère française qui se traduira, quelques jours après, par une intervention militaire. Emile Mauchamp, quelques jours avant son assassinat à Marrakech. / Ph. Mémoires du patrimoine marocain Le médecin «espion» ou le prétexte d'une troisième intervention Ayant appris son assassinat, le gouvernement français lance dès le lendemain une campagne anti-marocaine, rapporte Allal El Khadimi dans les «Mémoires du patrimoine marocain» (Cinquième volume, Editions Nord Organisation, 1986). L'historien revient aussi sur un déplacement du médecin en France en 1907 et sa rencontre avec le ministère français des Affaires étrangères. «Dès son retour, il est accusé de trahison par la population locale et un premier affrontement entre des Marocains et Emile Mauchamp aurait eu lieu avant son assassinat», poursuit-il. Après moult négociations, le gouvernement français décide, le 25 mars 1907, d'occuper Oujda pour contraindre les autorités chérifiennes à prendre des mesures plus sévères à l'égard des assassins. Quatre jours plus tard, soit le 29 mars, une expédition militaire, composée de «deux bataillons du 2° zouaves, un bataillon du 2° tirailleurs, deux escadrons du 2° spahis, une batterie d'artillerie et 200 goumiers», le tout sous le commandement du colonel Felineau», marchait vers la capitale de l'Oriental, rapporte le général Lyautey dans un télégramme. Campement militaire des forces françaises à quelques kilomètres de la ville d'Oujda en 1907. / Ph. Mémoires du patrimoine marocain «Oujda [est] occupé [à] dix heures du matin sans incident et sans un coup de fusil», indiquait-il. Officiellement, les autorités de l'Hexagone souhaitent que les conditions imposées au Makhzen soient remplies. Il s'agit, entre autres, de la révocation et l'emprisonnement du pacha de Marrakech, la punition des coupables et le paiement d'une indemnité. Mais surtout, la France souhaitait l'application des accords franco-marocains concernant les régions frontalières. Officieusement et en dépit des accords d'Algésiras, la France concrétisait sa vision du protectorat au Maroc. Malgré les tentatives du sultan chérifien et de ses vizirs de parvenir à une solution, la population locale inaugure un nouveau chapitre de lutte acharnée avec une remarquable bravoure. L'insurrection va contraindre les autorités de l'Hexagone de renforcer leur présence militaire au Maroc prétextant la volonté de protéger les ressortissants étrangers résidant au royaume, pour ensuite bombarder le 5 août via le croiseur Galilée, le cuirassé Gloire et le croiseur Forbin la kasbah de Casablanca, faisant de nombreuses victimes parmi les «rebelles» et la population. La ville de Casablanca en 1907. / Ph. Mémoires du patrimoine marocain Ce n'est que quatre ans plus tard, soit en 1911, que l'Allemagne, inquiète pour ses prétentions sur le Maroc suite à une autre intervention française dans plusieurs villes, interviendra en dépêchant un navire léger armé de canons, de la marine de guerre allemande dans la baie d'Agadir au Maroc. Un événement plus connu sous le nom de «Coup d'Agadir», qui provoquera une crise diplomatique entre la France et l'Allemagne. Cette dernière s'inclinera finalement devant l'Espagne et la France qui signera, dès le 30 mars de l'année suivante, le Traité de Fès instaurant le protectorat français sur le Maroc.