L'automne et le début de l'hiver ont été extrêmement chauds et secs cette année. La culture des céréales ne s'en relèvera pas. La gestion des ressources en eaux devient difficile et des choix s'imposent au détriment des agriculteurs. Cette année, les Marocains n'auront pas de pastèque de Zagora en mai. «La campagne agricole – les céréales, puisque c'est la culture la plus importante pour le Maroc - est fichue», affirme Abdeljalil Derj, agro-économiste, consultant, spécialiste de la planification de l'eau. Les récentes pluies n'y changeront rien. «Ces pluies bénéficieront un peu à l'orge, aux lentilles et aux pois-chiche, mais pour le blé, il est trop tard», affirme-t-il. Faute de pluie, beaucoup d'agriculteurs n'ont tout simplement pas emblavé (semé des graines) leurs champs. «L'année hydraulique en cours, celle qui a commencé en septembre 2015 est particulièrement sèche. D'ordinaire la pluviométrie nationale connaît deux pics annuels, un pic en novembre-décembre et un second en mars-avril», souligne Mohamed Sinan, or le premier pic, essentiel pour les céréales qui sont semées à l'automne, n'a tout simplement pas eu lieu. Selon le ministère chargé de l'Eau, les bassins de la Moulouya, de Souss Massa et de Ziz-Guir-Rheriss ont connu un déficit de pluie de 28 à 40% entre le 1er septembre 2015 et le 26 janvier 2016 et de 60 à 70% au niveau des bassins du nord et du centre, rapporte le Matin. «Les agrumes seront sauvées» «Les agrumes seront sauvées en grande partie parce que [contrairement aux céréales, ndlr] les arbres sont irrigués, mais leur rendement va être réduit en même temps que l'apport en eau», ajoute Abdeljalil Derj. La politique des grands barrages lancée en 1965 permet aujourd'hui d'irriguer en moyenne 1,5 million d'hectares, contre 470 000 hectares environ au moment de l'indépendance. «L'eau des barrages est allouée en priorité à l'eau potable. On conserve ainsi en réserve deux ans de consommation en eau potable, mais elle ne constitue que 10 à 15% de l'eau consommée annuellement. 85% est consommée par l'agriculture», indique Mohamed Sinan, hydrologue, enseignant-chercheur à l'école Hassania des Travaux publics et consultant dans le cadre du troisième rapport national sur le changement climatique rendu publique mardi 16 février 2016. En janvier, cependant, « les apports [en eau des grands barrages étaient] déficitaires d'environ 73% par rapport à l'apport moyen de la même période des séries longues observées au niveau de ces grands barrages», a expliqué Charafat Afailal, ministre délégué chargée de l'Eau, au Matin. Pas de pastèques en mai, cette année Lorsque l'eau des barrages accordée à l'agriculture n'est pas suffisante pour répondre à tous les besoins, «la priorité est toujours donnée aux cultures pluriannuelles [les plantes qui persistent d'une année sur l'autre comme les arbres, et contrairement au blé, ndlr] comme les plantations, les agrumes, la canne à sucre. En temps de sécheresse, comme cette année, l'Office de mise en valeur agricole demande aux agriculteurs de ne pas emblaver certaines de leurs terres, en leur disant que de toute façon ils ne leur fourniront pas d'eau. Cette année, on va faire l'impasse sur toutes les cultures annuelles d'été. L'Office va demander aux agriculteurs de Zagora de ne pas semer de pastèques. Cette culture nous permet d'avoir des pastèques dès début mai, mais consomme beaucoup d'eau», raconte Abdeljalil Derj. Les barrages ne suffisent plus – si tant est qu'ils aient jamais suffit – à prémunir l'agriculture, pilier de l'économie nationale et de l'emploi, de la pénurie d'eau en cas de sécheresse. «Le Plan Maroc Vert [PMV] prévoit l'irrigation de 150 000 hectares supplémentaires et l'économie d'eau de 1,4 million de m3 par an par la technique du goutte à goutte », a rappelé Mohamed El Guerrouj, directeur général de l'Agence pour le Développement Agricole, mardi 16 février 2016. Changement climatique Cependant, lorsque les pluies ne permettent pas au barrage d'alimenter toutes les surfaces agricoles irrigables, le goutte à goutte, puisqu'il concerne d'abord de nouvelles surfaces irriguées, ne change rien. «A Taounate, par exemple, où il pleut environ 400 à 500 mm/an, les agriculteurs cultivaient des fèves et des pois-chiche. Puis, le goutte-à-goutte y a été installé dans le cadre du PMV et les agriculteurs se sont logiquement mis à faire du maraichage qui consomme plus d'eau et est plus rémunérateur. On en a fait ainsi une zone qui doit avoir de l'eau tout le temps, or aujourd'hui, avec la réduction du niveau des barrages on ne peut plus l'assurer», explique Abdejalil Derj. A l'avenir l'écart entre les cultures qui auront de l'eau en quantité suffisante et celles qui en manqueront va se creuser, selon le troisième rapport national. «L'impact du changement climatique se solderait par une réduction des rendements céréaliers de 50% à 75% en année sèche et de 10% en année normale », indique le rapport. Non seulement, les pluies auront tendance à se réduire, mais en plus l'augmentation des températures va augmenter les besoins en eau des plantes et réduire la fertilité des sols dont la teneur en matière organique va se réduire. A contrario, «dans l'hypothèse où l'eau d'irrigation continuerait à être disponible en quantités suffisantes, la plupart des cultures irriguées verraient leurs rendements augmenter malgré le réchauffement», indique le rapport national. Cependant, la disponibilité de l'eau pour l'irrigation qui va se raréfier avec la réduction de la pluviométrie moyenne, l'évaporation accrue au niveau des barrages et leur envasement, n'est pas assurée. «De manière générale, les rendements agricoles resteraient plus ou moins stables jusqu'à l'horizon 2030, puis baisseraient assez rapidement au-delà de cette date », conclut le rapport.