De jeunes marocains sans-papiers vivant dans l'immeuble où le Raid a donné l'assaut à Saint-Denis, sont menacés d'expulsion. Suspectés de complicité avec Abdelhamid Abaoud et son commando avant d'être blanchis. Leur tort ? Louer l'appartement au dessus de celui où s'était retranché le commanditaire présumé des attaques meurtrières de Paris. Leur avocat dénonce une violation de leurs libertés en raison de l'état d'urgence. Récit. Etre locataires en France dans un immeuble ayant servi de planque à des terroristes, peut avoir bien des désagréments, surtout si on est immigré en situation irrégulière. Après avoir été interpellés à la suite de l'assaut de Saint-Denis, trois Marocains et un Egyptien ont été blanchis des soupçons de complicité avec Abdelhamid Abaoud et sa bande. Ces locataires marocains n'ont par contre pas échappé à l'Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), rapporte Libération. «On va sortir tous ensemble ?» C'est la question qui est venue à l'esprit, hier lors de leur procès, de ces locataires marocains âgés de 23, 26 et 31 ans, encore sous le choc post-traumatique de l'assaut au cours duquel quelques 5000 munitions ont été tirées. «Je suis traumatisé. Pourquoi on m'a fait tout ça ? Je n'ai jamais vécu ça dans mon pays», témoigne le plus jeune. Quand les hommes du raid, sachant qu'Abaoud était retranché dans un des appartements de l'immeuble de la rue du Corbillon, donnent l'assaut, la vie de ces jeunes marocains bascule. Ouvriers du bâtiment, ils dormaient à poings fermés dans leur appartement situé au dessus du studio où se cachaient les terroristes. Mais les jeunes locataires sont vite extirpés des bras de Morphée par les bruits des tirs et des explosions. L'un d'eux se précipite à la fenêtre pour voir se qui se passe mais reçoit plusieurs balles au bras droit. Tous se ruent vers un endroit «sécurisé» de l'appartement et écoutent, terrorisés, pendant 3 heures durant les bruits assourdissant des échanges de tirs et des explosions de grenades. Lorsque un calme précaire revient dans l'immeuble dévasté par les impacts de balles, les jeunes marocains sont arrêtés et conduits à la sous-section anti-terroriste de la police judiciaire de Levallois-Perret. Les paparazzis qui affluaient sur les lieux, à la recherche de scoops, prennent des photos des hommes parfois en slip ou en pyjama. Blanchis mais bientôt expulsés ? Les «suspects» sont ensuite gardés-à-vue de façon prolongée 72 heures sur les 6 jours autorisés par la loi en cas d'affaires de terrorisme. L'état d'urgence aidant, ils sont transférés sans avoir vu un avocat entre temps, au centre de rétention administrative de Vincennes où ils reçoivent, un OQTF signé par le secrétaire général de la préfecture des Hauts-de-Seine. Ils dénoncent aussi des mauvais traitements au cours de leur interpellation. «J'ai été traité comme un chien. Je n'arrive plus à dormir, je vois des images très violentes dans mon sommeil. C'est trop. Je ne comprends pas ce qui m'est arrivé», déplore le locataire blessé au bras, divorcé d'une Française et également père d'un petit garçon de 7 ans. Leur avocat, excédé, dénonce la procédure. «Vous êtes le premier juge qu'ils voient depuis neuf jours ! J'ai beau chercher dans la Constitution, je n'y vois [rien qui permette] aucune dérogation aux droits de la défense», a-t-il relevé devant le juge lui signifiant n'avoir reçu ni les procès verbaux d'interpellation, ni ceux de leur garde-à-vue. L'avocat a pu convaincre le magistrat qui a mis fin à leur interpellation au motif que l'état d'urgence n'autorise pas à sortir du cadre légal fixé par la loi. Et l'avocat de renchérir : «Voilà l'état d'urgence : les préfets sont tentés de passer au dessus du droit judiciaire. Ca en dit long sur les mois qui viennent. Ces jeunes gens sont l'inverse du profil des terroristes : ils viennent de l'étranger et se font tout petits en France», dénonce-t-il. Les jeunes locataires sont repartis libres de l'audience mais leur OQTF est toujours en cours. L'issue du procès a été heureuse pour eux mais il faut souligner que l'état d'urgence est parfois un prétexte pour ratisser large et oublier les droits de la population musulmane en France. Article modifié le 27/11/2015 à 14h13