En 1986, le gouvernement de Felipe Gonzalez accordait la nationalité espagnole à la population d'origine marocaine de Ceuta et Melilla. Vingt-huit ans plus tard, l'intégration n'est toujours pas au rendez-vous. Pire encore, la continuité de l'ordre établi depuis 1497 est sérieusement menacée. C'est le constat d'un rapport d'un think-tank espagnol. La stabilité de Ceuta et Melilla est menacée, indique un nouveau rapport de l'institut espagnol El Cano, présenté hier à Madrid. Le document considère que la pérennisation de la souveraineté espagnole sur les deux enclaves fait face, à moyen terme, à trois risques : démographique, économique et identitaire. Le think-tank s'inscrit ainsi en faux vis à vis des discours des politiques locaux de droite qui avancent les revendications territoriales du Maroc et l'immigration illégale comme les deux principaux facteurs de déstabilisation de l'ordre établi depuis 6 siècles à Ceuta et Melilla. Dans le détail, les deux villes autonomes connaissent une poussée démographique «très grave et ayant un impact structurel», complétement en déphasage avec les niveaux de croissance économique enregistrés. La conclusion de l'Institut El Cano ne fait que corroborer des statistiques officielles publiées, le 22 novembre 2013, par le très officiel INE (Instituto Nacional de Estadistica) alertant sur la perte de 2,6 millions d'habitants à l'horizon de 2023 dans toute l'Espagne à l'exception des Iles Canaries et de Ceuta et Melilla. Quant au risque économique, il est plus évident à Melilla à cause de sa dépendance totale de la contrebande vers le Maroc. «Une activité qui éclipse les autres secteurs de la ville», estime El Cano. Désintérêt des musulmans de la politique Le rapport diagnostique également un fossé de plus en plus profond séparant les habitants autochtones de confession musulmane des habitants espagnols de souche. Il s'agit là du troisième risque menaçant la «stabilité» des deux villes. Un danger qui se traduit lors des élections locales ou législatives par une abstention record, notamment dans les quartiers où se concentre la population musulmane. A Ceuta, ce taux a atteint 43% en 1986, 44% en 1987, 49% en 2008 et 47% en 2011. C'est presque les mêmes scores réalisés à Melilla : 40% en 1986, 37% en 1987, 42% en 2008 et 50% en 2011. A ce désintérêt s'ajoute un facteur qui ne figure pas dans le rapport d'El Cano, l'appréhension du pouvoir central des partis des musulmans. Preuve en est l'alliance entre élus du PP et du PSOE, sur ordre de leurs directions à Madrid, afin de faire tomber le gouvernement de Mustapha Abderchane (5 juin 1999 - 19 juillet 2000), de la présidence de Melilla. Depuis le parti Coalition por Melilla (CpM) est dans l'opposition. En revanche à Ceuta, l'influence des formations dirigées par des autochtones est moins prononcée. L'Union démocratique de Ceuta (UDCE), de gauche, créée par Mohamed Mohamed Ali, a une influence très limité sur la scène politique locale. «La population ne devrait pas soutenir les revendications marocaines» Le document d'El Cano prévoit qu' «à moyen terme», les habitants, séduits par la qualité de vie et les prestations sociales, ne devraient pas s'enthousiasmer pour les «revendications marocaines». En revanche, cette tendance pourrait subir, «à long terme» une évolution négative pour l'Espagne avec une nette influence du vote musulman. Les grands partis politiques (PP et PSOE) seraient contraints de prendre en compte cette importance en faisant des concessions à même de séduire cet électorat. Ceuta et Melilla, ajoute El Cano, au même titre que les 17 communautés autonomes en Espagne, doivent se préparer à l'officialisation de la langue amazighe et consacrer un budget conséquent pour l'éducation des enfants des autochtones. L'objectif étant de préserver et renforcer leurs identités du reste des Espagnols, conclut le rapport d'El Cano.